Les débuts d’éditeur de The Pixel Hunt

1) Le contexte

Vous le savez, chez The Pixel Hunt, on aime les jeux en lien avec le réel. C’est pour ça que nous avons proposé à Pierre Corbinais d’éditer une version web de son titre, ‘Till Cows Tear Us Apart. Pensez donc : un road-trip galactique dans lequel deux voleuses de vaches rencontrent des fantômes, des aliens et des chasseurs de primes armés de rayons laser, quoi de plus ancré dans le quotidien ?

A fond la caisse.

Bon, blague à part, TCTUA, c’est avant tout une histoire d’amour : celle qui lie Enora Bay, une jeune tête brûlée humaine, et Quanee Oxentine, son amante Ahopaloose à la peau émeraude. Elles ont chouré un troupeau de vaches et, à bord de la vieille guimbarde qui leur sert de vaisseau, elles traversent la galaxie à toute berzingue. Leur but ? Revendre les bestiaux aux Truxtoniens (vous ne voulez pas savoir ce que les Truxtoniens font avec les vaches, croyez-moi). Mais évidemment, rien ne va se passer comme prévu…
Derrière des graphismes tout en gros pixels et un gameplay épuré qui empreinte au livre-dont-vous-êtes-le-héros, vous allez découvrir une histoire trépidante, farfelue et, au final, émouvante comme un Thelma et Louise du futur. Pierre Corbinais n’a pas son pareil pour inventer des personnages de jeu qu’on aimerait connaître en vrai, ne serait-ce que pour en tomber amoureux – et ce même si on n’a pas les avantages anatomiques d’une plantureuse Ahopaloose.

De l’aventure, de la bagarre, et des passages coquins. Bienvenue sur Internet.

Initialement, Pierre Corbinais a réalisé TCTUA en deux semaines, dans le cadre de la Space Cowboy Game Jam, qu’il a remportée. Mais le jeu n’était jusqu’ici disponible qu’en exécutable PC, ce qui, nous en conviendrons, n’était pas l’idéal dans une stratégie de conquête du moooooooonde ! Voici donc, grâce aux talents de développeur de Benjamin Gattet (qui a d’ailleurs écrit ici même un superbe postmortem du portage du jeu d’Adventure Game Studio vers le web, pour les amateurs), la version web de TCTUA. Ce premier jeu édité par The Pixel Hunt est hébergé chez Kongregate, alors si vous l’appréciez et si vous avez un compte sur ce site, n’hésitez pas à nous laisser un commentaire et/ou une évaluation positive !

À propos de l’auteur :

Journaliste passionné d’expérimentation, Pierre Corbinais (« Pierrec ») s’est d’abord intéressé à la littérature et à la bande dessinée avant de progressivement glisser vers le jeu vidéo. Il est l’auteur du site oujevipo.fr sur lequel il présente et analyse des jeux aux gameplays originaux. Il cherche également à explorer la narration et les relations humaines à travers ses propres créations. Ah, et il aime les belles chemises, surtout ouvertes (il habite Marseille, faut dire).

2) Le lancement

Comme toute bonne structure qui se lance dans une nouvelle activité, The Pixel Hunt avait élaboré une stratégie tout à fait réfléchie, qu’on pourrait résumer en un mot : YOLO. En bref, initialement, on se disait qu’on allait mettre le jeu sur Kongregate (le plus gros site de jeux « in browser » du monde) et attendre que ça morde. Ça allait FORCÉMENT mordre, car le jeu est super bien.

Sauf que des jeux super bien, sur Kongregate, il y en a plein. Donc le nôtre, nous avons dû l’aider un peu à décoller. La stratégie de communication s’est faite avec les moyens du bord, sans révolutionner le genre mais un peu en mode « guerilla » :

  • une newsletter en forme de communiqué de presse, envoyée aux amis de The Pixel Hunt, que vous avez peut-être reçue, et qui disait presque exactement la même chose que la première partie du présent post. Envoyée à 690 contacts, ouverte à 40%, elle a généré 30 clics uniques sur le lien du jeu. Ce n’est pas énorme, bien sûr, mais c’est important car dans les premières minutes d’une mise en ligne sur Kongregate, il faut que le jeu vive sous peine de couler dans les tréfonds du site.
  • un bombardement des copains et followers de The Pixel Hunt sur les réseaux sociaux, Twitter et Facebook principalement (mais aussi des trucs moins conventionnels comme Reddit). Nous y demandions notamment aux plus enthousiastes la même chose qu’ici, à savoir de se créer un compte sur Kong pour commenter et/ou noter le jeu – ce qui est essentiel pour sa visibilité, exactement comme sur l’AppStore. Ici, l’impact est plus difficile à mesurer, mais les posts et tweets ont eu leur lot de retweets, de commentaires et de like. Et quelques minutes plus tard, j’ai vu apparaître des commentaires manifestement laissés par des connaissances (un grand MERCI, d’ailleurs).
  • un harcèlement des Youtubers (sur les très bons conseils de Fibre Tigre, mais sans son niveau d’implication hardcore néanmoins) pour qu’ils fassent des Let’s Play du jeu. J’ai passé pas mal de temps à chercher des gens
    1. qui avaient déjà préalablement fait des LP de jeux d’aventure
    2. qui n’avaient pas trop de followers (ceux-là sont inatteignables) mais un peu quand même (sinon ça vaut pas le coup)
    3. dont je trouvais le boulot chouette

Bon ce harcèlement de Youtubers n’a pas porté de fruits extraordinaires, mais c’est un boulot de longue haleine. Enfin, tout de même :

  • un gros boulot de sniper des occasions. Là encore, c’est assez ingrat comme travail : j’ai passé pas mal de temps et d’efforts à envoyer des mails ou des tweets à des médias, particulièrement en France, pour espérer attirer leur attention, sans y parvenir. Voire sans avoir la moindre réponse. Mais il y a aussi des grandes réussites, comme ce tweet. J’aime autant vous dire que quand on pinge Leigh Alexander, une des journalistes jeux vidéo les plus influentes outre atlantique, on n’y croit pas trop. Mais j’imagine que pas mal de choses reposent sur la façon de pitcher un projet. Avec Leigh, je me disais que parler de « Thelma et Louise en jeu » ferait mouche… et manifestement, ça a été le cas.

3) Les résultats

Voilà, nous sommes maintenant une grosse semaine plus tard, autant dire une éternité (je n’ai pas compté le nombre de jeux qui ont été uploadés sur Kongregate après le nôtre, mais c’est probablement au moins une centaine). Je continue à interpeller les médias, et j’ai notamment une promesse d’article de Jay Is Games, LE site de référence sur les « browser games » (que j’adore lire donc je suis bien content), ainsi que l’engagement d’un autre Youtuber de faire un second Let’s Play. Mais le gros de la vague est probablement passé – même si, à ma grande (et heureuse) surprise, le nombre journalier de parties jouées sur Kongregate reste relativement stable.

Voici donc quelques chiffres, à J+8 :

  • 40,246 parties jouées sur le site
  • Une note moyenne de 3.80, ce qui est plutôt cool ! (bon on a choisi de ne pas donner la possibilité de couper le son et ça énerve beaucoup la communauté, mais sinon ils aiment) C’est plutôt cool car ça nous a permis d’être mis en avant sur la home de Kongregate, ce qui nous a apporté plus de joueurs, etc.
  • Vainqueur du concours « best of the week »
  • Sixième du concours « best of the month »

J’aime autant que nous sommes SUPER heureux de ces chiffres. Personnellement, je considère ça comme un vrai succès, et je ne vous raconte pas la joie de lire les commentaires enthousiastes sous le jeu, les demandes de suites etc. On a même reçu un fan art !!!

Le pouvoir d'extrapolation des joueurs sur quelques pixels est formidable ! - par DJM30wM1x
Le pouvoir d’extrapolation des joueurs sur quelques pixels est formidable ! – par DJM30wM1x

En parlant de chiffres, une petite considération qui pourrait vous être utile si vous optez un jour pour une publication sur Kongregate : la date de publication est une question qu’il faut se poser. Ce que j’ai pu remarquer, c’est que pour TCTUA en tout cas, la note moyenne monte avec le temps. Nous sommes restés un certain temps à 3.6 – les deux premiers jours environs – puis nous avons lentement mais sûrement progressé jusqu’à 3.8. Ce n’est pas un drame puisqu’en fin de mois, la concurrence est moins acharnée qu’en début de mois, ce qui nous a permis de remporter néanmoins le concours hebdomadaire. Mais ça a nui à notre performance dans le concours mensuel. Pas de regret, car je pense que TCTUA est un jeu trop particulier pour vraiment pouvoir prétendre à une victoire mensuelle, mais bon à savoir néanmoins.

A propos de concours, et de prix, on arrive à la question qui fâche : « C’est bien joli tout ça mais on gagne des sous ? » Et la réponse est… oui et non.

thunes

Kongregate fonctionne avec un programme de « revenue sharing », c’est-à-dire que le site reverse aux développeurs une partie des revenus publicitaires générés (entre 25 et 50% selon plusieurs critères). Or comme vous le savez, la pub sur Internet n’est pas forcément un marché fructueux. Au bout d’une semaine d’exploitation, TCTUA a donc rapporté la somme de $35, soit, au cours actuel… pas beaucoup d’€€€

Mais attendez, ne pleurez pas tout de suite pour nous.

D’abord, comme je le disais plus haut, les jeux sur Kong ont une vie relativement longue, en tout cas ceux qui arrivent à faire leur trou. Il n’est pas rare de voir des jeux arriver aux 250000 parties jouées, et les meilleurs jeux culminent à plusieurs millions de gameplays. Dans la première hypothèse, on récupérerait donc $220, dans la seconde (certes peu probable) un peu moins de $1000 par million. Toujours pas l’Amérique, mais hey, it’s something.

D’autant plus que :

  • Les deux concours que nous avons remportés nous ont aussi fait gagner de l’argent, $250 à chaque fois. Et si nous avions obtenu un meilleur résultat au concours mensuel, on aurait pu chopper plus.
  • The Pixel Hunt compte maintenant dans son catalogue un jeu exploité commercialement. Et ça, c’est quelque chose d’inestimable, quand on sait que c’est une condition sine qua none pour déposer des dossiers de financement auprès de certains organismes, comme par exemple le fonds Média (ne m’en parlez pas, je viens de me faire jeter un dossier pour cette exacte raison, j’en pleure encore).

 Et puis surtout, je vois tout ça comme une expérience extrêmement enrichissante, dont j’ai essayé de donner un aperçu des premières leçons ici. On apprend plein de choses en se frottant à la communauté des joueurs de Kongregate, sans pour autant prendre autant de risques financiers que quand on sort un jeu sur l’AppStore (qui, de toute façon, est autrement plus saturée que Kong). En bref, c’est une super répétition générale pour la suite.

Bon, bien sûr, on ne devient pas riche non plus. Mais on se rembourse avec le plaisir de savoir qu’un jeu très chouette, auquel on croit, a trouvé un public de plus de 40000 personnes. Pour info, la première version du jeu faite par Pierre, disponible uniquement en exécutable PC, avait été téléchargée 1000 fois – désormais, 40 fois plus de gens ont eu le plaisir de jouer cette belle histoire que, personnellement, j’adore. Si cette aventure a servi au moins à ça, c’est une récompense dont The Pixel Hunt se satisfait largement.

4 réponses sur “Les débuts d’éditeur de The Pixel Hunt”

  1. Excellent article qui booste pas mal pour passer le pas. :3
    Je vais me prendre un moment posé pour faire le jeu, le format ne s’adapte pas trop à une partie en vitesse au boulot.

  2. J’arrive un peu en retard, article sympa Florent, il y a des questions,
    notamment en terme de coût qui restent en suspens.
    – Le coût du portage
    – Le coût du travail de The Pixel Hunt
    – Le coût d’un rework eventuel pour adapter à Kongregate (format, cible, SDK…)

    Autre chose, pourquoi Kongregate?
    et surtout pourquoi seulement Kongregate?

    1. Merci de ta question Ben, c’est vrai que je n’ai pas précisé tout ça. Alors voilà :
      – le portage a coûté un peu plus de 1000€, en sachant qu’on partait du travail de Pierre Corbinais sur AGS, et qu’on avait donc tous les assets graphiques, tout le game design etc. Mais Benjamin Gattet, qui a fait le port, a quand même bien galéré… Ce coût comprend le travail spécifique à Kong (format et plug avec leur API)
      – Le coût du travail de TPH est difficile à évaluer, car c’est très morcelé, mais je dirais que j’ai passé à peu près 3 jours à faire le CP, à solliciter différents sites, à harceler les Youtubers etc. Donc si j’avais dû facturer le boulot, ça aurait probablement tourné autour du millier d’euros aussi. Mais là, c’est de la R&D pour nous, donc je considère plus mon boulot comme un investissement. On a un accord avec Pierre pour un split de revenus au-delà du remboursement des coûts du portage, mais je doute qu’on y arrive un jour, il faudrait faire des millions de gameplays sur Kong.
      – On est partis sur Kong car ils sont parmi les seuls à avoir un programme de revenue sharing et des concours qui rapportent de la thune. Une autre piste à explorer serait celle du sponsoring (par Armorgames par exemple), mais TCTUA est tellement un ovni que je doute qu’on aurait réussi à convaincre un sponsor. Alors que maintenant, avec le rating de la communauté et le succès du jeu, on aurait plus d’arguments. Quant à l’exclusivité Kong, elle tient à deux raisons : on a un bonus de revenus si on est exclusifs à eux, et ça limite aussi le boulot d’animation de communauté (répondre aux commentaires, réagir aux demandes…) qui est très chronophage, même si c’est aussi très cool d’être en prise directe avec les joueurs. Cela dit, on ne s’interdit pas dans un certain temps de poster le jeu ailleurs. Tu conseillerais quels sites ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.