Jeu d’actu : comment construire un système ? (1/2)

Article initialement publié sur le blog Je Perds donc je pense.

Quelques jours après la sortie officielle de « Primaires à gauche« , et alors même que fleurissent sur ce blog les premiers retours de joueurs, il est temps pour nous de vous en dire un peu plus sur la conception de ce premier « newsgame » français.

Le projet « Jeu vidéo d’actualité », qui a réuni Lemonde.fr, l’entreprise de « serious games » KTM Advance et l’Ecole de journalisme de Lille, a débuté en décembre 2009. A l’époque, nous ne savions pas encore quel sujet nous allions essayer de traiter par le jeu vidéo. En revanche, nous tenions à tenter de modéliser un système dans son ensemble – un de ces problèmes complexes, faisant interagir de nombreux acteurs, et qui génèrent une actualité parfois difficile à traiter à une échelle globale.

Rapidement, en comparant nos contraintes de production avec le « calendrier » de l’actualité, nous nous sommes rendu compte que la primaire socialiste à venir pourrait être un bon objet d’expérimentation. En permettant au lecteur du Monde.fr de se glisser, le temps d’une partie, dans la peau d’un candidat, peut-être pourrions-nous l’amener à réfléchir sur le déroulement d’une campagne et les choix stratégiques auxquels les politiques ont à faire face. Mais il nous fallut alors répondre à une question : comment construire, dans un jeu vidéo, une représentation du paysage politique impliqué dans cette élection ?

Si nous voulions tirer parti du principal intérêt du jeu vidéo, la modélisation de systèmes, nous devions justement tenter de faire du journalisme selon une méthode systémique. Plus question de conter, au jour le jour, la campagne de Martine Aubry ou celle de François Hollande telles qu’elles se dérouleraient. Nous allions au contraire adopter une approche globale, et tricoter un canevas suffisamment cohérent pour pouvoir y loger les différents éléments du gigantesque puzzle qu’est la primaire.

Mais ces éléments, quels sont-ils ? Quels sont les lien qui les mettent en relation les uns par rapport aux autres ? Et quelle(s) taxinomie(s) adopter pour organiser le système ?

Rapidement, en étudiant le précédent disponible, c’est-à-dire la primaire socialiste de 2006, nous nous sommes rendu compte d’un premier point important, qui allait poser les bases de notre représentation de celle de 2011.

Il apparaissait clairement que les trois candidats principaux d’alors, madame Royal, monsieur Fabius et monsieur Strauss-Kahn, ne faisaient pas de la politique de la même façon. En décortiquant chacune de leurs actions, leurs déclarations, leurs discours, nous avons défini cinq « styles », cinq grandes familles, cinq formes d’expression politique :

  Les candidats pouvaient miser sur les idées nouvelles

  Ils pouvaient choisir d’être présents dans les médias

  Ils pouvaient opter pour l’action sur le terrain

  Ils pouvaient investir sur les alliances, dans et en dehors du parti

  Et force est de constater qu’ils subissaient aussi, parfois, des coups bas.

Évidemment, aucun des candidats n’optait exclusivement pour un seul de ces styles. Néanmoins, il nous paraissait pertinent de dire par exemple que Si Dominique Strauss-Kahn misait plus volontiers sur les idées et les alliances, Ségolène Royal, elle, était plus volontiers présente dans les médias et sur le terrain.

La fiche de la candidate Ségolène Royic

Cette taxinomie, qui fonctionnait pour les candidats de la Primaire de 2006, semblait aussi permettre de qualifier les prétendants de 2011. Et si ces styles pouvaient définir les candidats, ils pouvaient aussi s’appliquer à leurs soutiens éventuels. L’ensemble des personnages publics impliqués dans une primaire, la totalité des personnalités susceptibles d’avoir une influence sur le vote des électeurs, pouvaient être affiliés à une de ces cinq grandes familles. Voici quelques exemples : les chercheurs et les experts qui conseillent les politiques étaient à ranger en « Idées » ; les associations et les élus locaux en « Terrain » ; les apparatchiks et les briscars du parti (ainsi que ceux des partis alliés) en « Alliances » ; les people, éditorialistes et autres en « Médias » ; et les hommes de l’ombre trouveraient refuge dans le peu glorieux style « Coups bas ».

Et puisque nous voulions utiliser l’expressivité, la rhétorique du jeu vidéo, il fallait que chacun de ces « styles » politiques ait un « gameplay » propre – un ensemble d’avantages et d’inconvénients qui refléteraient, si possible, la réalité politique. Le style « Médias » allait être puissant à court terme mais s’essouffler à long terme, au contraire du style « Terrain » qui mettrait du temps à démarrer mais miserait sur la force du nombre. Le style « Idées » serait défensif, proposant des protections, comme un politique qui a bien travaillé ses dossiers est assuré de ne pas être pris au dépourvu. Le style « Alliances » permettrait de s’affranchir des règles, en prenant le meilleur des autres styles. Quant au style « Coups Bas », il serait potentiellement efficace, mais aussi très risqué – et de toute façon moins puissant que les autres, car nous ne voulions pas donner l’idée que les coups bas sont payants à long terme en politique. Peut-être un péché d’angélisme de notre part.

Nous avions ainsi établi un premier mode de classification, basé sur la forme. Mais nous allions rapidement nous rendre compte que pour tenir un propos sur un sujet aussi délicat que la politique, cette simple taxinomie allait se révéler insuffisante…

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