Trauma

TRAUMA est une expérience photographique unique, par Krystian Majewski, game designer. Plongez dans l’esprit d’une jeune femme traumatisée, pour apprendre et comprendre.

Si je commence cet article par une traduction de la présentation de Trauma, sur son site officiel, c’est qu’il n’est pas facile de décrire cet « objet interactif ». S’agit-il d’un jeu à proprement parler ? Sur plusieurs points, Trauma est à l’exacte opposée des canons du genre : il est incroyablement court (on peut en faire le tour en une petite heure), désespérément contemplatif (on vous y propose d’ « explorer des rêves »)… Et il n’est même pas doté d’un « vrai » gameplay : alors qu’il reprend une partie des codes du jeu d’aventure, les « énigmes » qu’il propose sont, honte sur lui, loin d’être sibyllines. Pourquoi en parler ici, dans ce cas ? Deux raisons principales. D’abord, ces « défauts » n’en sont pas forcément, loin s’en faut – tout est question d’objectif de design. Et ensuite, puisqu’on parle de design, Trauma est une mine de bonnes idées pour les créateurs de webdocumentaires et de newsgames. Cet article est une tentative de les recenser, et de les mettre en valeur.

Au clic de souris, l’utilisateur navigue de photo en photo et progresse dans le jeu.

Trauma débute par une courte vidéo : une jeune fille et ses parents montent dans une voiture, roulent, et ont un accident. Les parents sont tués, et la fille, traumatisée, est hospitalisée. C’est pendant sa convalescence que vous allez avoir l’occasion de pénétrer à l’intérieur de quatre de ses « rêves », quatre facettes de sa personnalité, ou souvenirs, émotions et images se mélangent.

Chacun de ces « rêves » est en fait composé d’une série de photos organisées logiquement et spatialement. Bougez le curseur de votre souris sur l’image que vous avez sous les yeux : des zones réagissent clairement, vous indiquant sans même avoir besoin de vous l’expliquer que d’autres photos sont à portée de clic. Vous pouvez ainsi vous « déplacer » d’un cliché à l’autre, vous attarder sur des détails, contempler un objet particulièrement important sous plusieurs facettes… En bref : vous avez en quelques instants l’impression d’explorer un univers vaste et mystérieux. Mais au moment où vous pourriez commencer à être effrayé par les dimensions du lieu, vous reconnaissez un endroit par lequel vous êtes déjà passé. C’est tout sauf un hasard : le dosage du nombre de possibilités exploratoires est excellent.

Trauma donne à l’utilisateur une vraie sensation de liberté sans jamais le perdre.

L’utilisateur interagit avec l’univers exploré en dessinant des symboles à l’écran.

Rapidement, vous allez vous apercevoir que le clic n’est pas le seul moyen d’interagir avec l’univers de Trauma. Pour vous déplacer, mais aussi pour effectuer des actions (soulever un rocher, capturer un fantôme, trancher à travers une foret…), vous allez dessiner des symboles à l’écran. Encore une fois, Krystian Majewski a très intelligemment limité le nombre de symboles disponibles : il en existe à peine une dizaine. En quelques minutes, vous les maîtriserez donc tous, et évoluer dans l’univers grâce à ces dessins vous sera alors aussi naturel, voire plus, qu’avoir recours au clic. En plus d’être en accord avec le propos du jeu (on dessine des signes kabbalistiques, presque magiques, pour évoluer à l’intérieur d’un univers onirique et irréel), ce dispositif, qui s’adresse directement aux sens de l’utilisateur (toucher, vue, ouie), aide grandement celui-ci à s’approprier l’univers à explorer.

Trauma donne à l’utilisateur une sensation de maîtrise sensorielle sur l’environnement.

En « trouvant » cette photo, vous remplissez l’objectif nommé « A Coffee with the Nighthawks ».

Je ne vais pas, dans cet article, rentrer dans le détail de l’histoire de Trauma. Je ne veux pas vous révéler des éléments qu’il vous sera sans doute agréable de découvrir par vous-même, et de toute façon, cela serait inutile. Ce jeu séduit d’abord par une ambiance très particulière. Alors que vous naviguez d’image en image, la narratrice vous donne, en voix off, des « explications » sur ce que vous découvrez. Cependant, les liens logiques entre tous ces fragments de souvenirs ne vous sont pas imposés. C’est un choix de design : une grande place est laissée à votre imagination, à votre interprétation. L’histoire racontée ne sera pas la même pour tous les utilisateurs, elle dépendra de la sensibilité de chacun. En fournissant relativement peu d’éléments narratifs sur lesquels s’appuyer, Krystian Majewski mise sur le pouvoir d’évocation très puissant des images. Une des seules choses qu’il contrôle, en tant que « storyteller », c’est l’ambiance générale, brumeuse, parfois confuse, qui sert parfaitement son propos : tenter de rendre les méandres d’une âme victime d’un traumatisme.

Trauma installe une ambiance, mais laisse l’utilisateur reconstruire la cohérence du récit.

L’interface de « choix de niveau » de Trauma

Trauma est divisé en quatre « rêves », quatre grandes parties, traitant chacune d’un point de conflit au sein même de l’âme de l’héroïne. Mais la narration n’est pas linéaire : ces rêves peuvent être explorés dans n’importe quel ordre. Ceci dit, la séparation entre les quatre parties n’est qu’apparente. Dans chaque univers, vous trouverez, sous forme de polaroïds, des indices qui vous renverront vers les trois autres, et vous permettront de découvrir de nouvelles zones à explorer. Cette structure a le double avantage de laisser l’utilisateur décider de l’ordre dans lequel il veut consulter les contenus, tout en l’encourageant sans cesse à fouiller chaque recoin, car il a conscience d’avancer non seulement dans la découverte de l’univers qu’il parcourt, mais aussi dans l’ensemble de l’histoire qu’on lui raconte.

Trauma propose une narration délinéarisée, mais bordée et guidée.

Pour chaque partie, un feedback clair renseigne l’utilisateur sur sa progression.

Bien évidemment, une telle organisation est extrêmement complexe. Être sans cesse renvoyé d’une partie à l’autre pourrait avoir pour effet de désorienter complètement l’utilisateur, voire de le décourager de continuer sa progression dans le récit. C’est sans doute pour cette raison que Trauma propose à l’utilisateur des « objectifs » à atteindre dans sa consultation.

Au début, ils ne sont pas utiles : on explore chacun des quatre « rêves », en allant là où notre curiosité nous porte. Mais au bout d’un moment, on est rattrapé par l’impression d’être peut-être passé à côté d’une partie du récit, d’avoir trouvé une « fin » à l’histoire tout en étant conscient qu’il en existe d’autres, encore secrètes. On a alors accès à une interface pratique, « View discoveries », qui tient le compte de toutes nos actions. Combien de polaroïds a-t-on découvert sur les 9 que chaque « rêve » cache ? A-t-on atteint la « vraie » fin de chaque rêve, ou une des 3 fins alternatives ? Ces objectifs, volontairement décrits de manière floue, incitent l’utilisateur à se replonger dans chaque partie, et, au final, à prendre connaissance de tous les éléments narratifs créés par l’auteur.

Trauma fixe à l’utilisateur des objectifs…

L’utilisateur peut vérifier facilement qu’aucun contenu important ne lui a échappé.
 …qui sont aussi des repères.
Un système d’aide vous permet de trouver les clichés qui vous auraient échappé.

Même si sa forme, très particulière, peut déconcerter certains joueurs, Trauma est bel et bien un jeu. Un jeu au gameplay extrêmement simple : vous gagnez si vous arrivez à explorer les quatre « rêves » de fond en comble. Pour ce faire, vous allez devoir accomplir les bon gestes (c’est-à-dire dessiner les bons symboles) aux bons endroits. Mais aussi, et c’est particulièrement intéressant dans l’optique d’utiliser la forme établie ici pour concevoir des webdocumentaires, Trauma est un jeu dans lequel tout est fait pour que les règles du jeu ne se mettent jamais longtemps en travers de votre progression, de votre découverte du contenu. Traduit en langage de fan de jeux d’aventure, ça donne « Les énigmes de Trauma sont trop faciles ! » Grâce aux objectifs, on sait ou chercher les éléments qu’on n’a pas encore découvert. En trouvant les polaroïds, on sait quelle action faire, à quel endroit, pour avancer dans l’histoire. Et il existe même un système pour aider l’utilisateur à débusquer les polaroïds qu’il lui manque.

Trauma comporte dans sa structure même plusieurs niveaux d’aide, pour plusieurs types d’utilisateurs.

Reste le plaisir de progresser, d’explorer un univers entier, riche, émouvant, avec une ambiance et une musique splendides, et sans jamais rester longtemps perdu ou bloqué. Un objectif qui, me semble-t-il, est celui de tout concepteur de webdocumentaire.

Vous pouvez jouer à Trauma en ligne ici : http://www.traumagame.com/trauma.html. Et si l’expérience vous plait, pensez à récompenser le travail de Krystian Majewski en achetant la version off-line du jeu.

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