Produire des jeux vidéo pour informer

Article initialement publié sur Lemonde.fr.

Est-il possible pour une rédaction en ligne d’avoir recours au jeu vidéo pour informer ? En pratique, le jeu vidéo souffre d’un gros défaut : sa production est très longue. Design, graphisme, son, programmation… Concevoir un jeu de manière traditionnelle demande en général plusieurs mois. Or, les sites d’informations cherchent à coller au rythme de l’actualité.

Les temporalités du jeu vidéo et de l’actualité pourraient se concilier si les journalistes avaient à leur disposition une plate-forme logicielle qui les aide à fabriquer des jeux très rapidement. C’est la conclusion à laquelle Eric Brown et Asi Burak étaient arrivés quand ils ont créé Play the News.

PRÉDIRE L’ÉVOLUTION DE L’ACTUALITÉ

Ce titre s’apparentait moins à un jeu vidéo d’information qu’à un jeu vidéo sur l’information, son traitement et sa consommation. Régulièrement, dans un module en flash, des journalistes faisaient le point sur une actualité « en cours », grâce à des vidéos, du texte ou des infographies interactives. Puis, chaque participant devait répondre à deux questions : comment jugeait-il personnellement que la situation devrait évoluer et que pensait-il qu’il allait effectivement se passer ?

Capture d'écran de "Play the News".
Capture d’écran de « Play the News ». D.R.

Quelques jours plus tard, quand l’issue de l’événement était connue, la rédaction de Play the News informait les joueurs de la pertinence de leurs prédictions, et faisait évoluer leur score en fonction. En participant à un grand nombre de mini-jeux différents (et donc, en s’informant sur un grand nombre de sujets pour affiner ses prédictions), on augmentait ses chances de battre les autres participants. Play the News ne s’apparentait pas seulement à une compétition, puisque chaque module d’information était accompagné d’un forum de discussion, sur lequel la communauté pouvait discuter avec la rédaction de la pertinence des différentes prédictions proposées.

Le site a toutefois fermé ses portes, incapable de trouver un modèle économique viable, même si pendant la phase de bêta-test, le retour des utilisateurs fut très positif.

Capture d'écran de "Playing the news".
Capture d’écran de « Playing the news ». D.R.

INTERVIEWER DES INTERLOCUTEURS

Grâce à une dotation de la Knight Foundation, une ONG américaine de promotion du journalisme, Nora Paul et Kathleen Hansen tentèrent de développer un autre programme, Playing the News, qui permette de générer facilement des « jeux vidéo de simulation » dans lesquels l’utilisateur pourrait, en interviewant virtuellement différents interlocuteurs, acquérir un ensemble de connaissances sur une actualité particulière.

En prenant pour sujet le débat autour des agrocarburants, elles conçurent un prototype, qu’elles firent tester à un panel représentatif de consommateurs d’informations. Ces derniers eurent aussi accès à quatre autres modes de présentation : un article classique, un article court accompagné de liens classés par ordre chronologique, une série de liens organisés par sous-thématiques, et une sorte de jeu de l’oie virtuel dans lequel il fallait collecter des indices pour répondre à des questions. Chacune de ces propositions contenait exactement les mêmes informations, seul le mode de présentation changeait.

Le résultat fut cruel pour le « jeu vidéo de simulation », qui finit dernier des classements des utilisateurs. Il ne fut jugé ni efficace pour apprendre des informations sur un sujet complexe comme les agrocarburants, ni même amusant à utiliser. « Le problème, analyse Kathleen Hansen, c’est que même si elle reprenait les codes esthétiques du jeu vidéo d’aventure, il manquait à notre tentative quelque chose d’essentiel : elle n’avait pas de mécanique ludique. »

ENDOSSER UNE IDENTITÉ

Cet échec et le succès de Play the News amènent à un constat : pour concevoir une plate-forme de production de jeux vidéo d’actualité efficace, il faut comprendre le processus cognitif qui permet d’apprendre des choses en jouant. L’universitaire américain James Paul Gee, auteur de What Video Games Have to Teach Us About Learning and Literacy (« Ce que les vidéos peuvent nous apprendre sur l’apprentissage », (2003)), explique : « Pour apprendre, quel que soit le domaine, il faut endosser une nouvelle identité, et créer des ponts entre celle-ci et les anciennes que nous avons déjà. Un étudiant en sciences n’apprendra bien dans sa discipline que s’il ‘joue le rôle’ d’un scientifique, pas s’il retient par cœur une série d’équations dans un livre. Or, les bons jeux vidéo encouragent d’une manière claire et puissante le joueur à se forger une identité, et à avoir une réflexion sur cette identité. »

Les journalistes ne sont pas des professeurs, mais l’utilisation d’un outil aussi puissant que le jeu vidéo pour expliquer des problématiques complexes pourrait néanmoins leur être utile. C’est l’avis de Gail Robinson, la rédactrice en chef de la Gotham Gazette, qui a pu, grâce à un programme financé par la Knight Foundation, produire une série de jeux sur l’information. « Alors que le Web arrive à maturité, assure-t-elle, la question cruciale que nous, journalistes, avons à nous poser est : ‘Quelle est la meilleure façon d’intéresser et d’informer nos lecteurs sur le sujet du jour ?’ Et parfois, la réponse à cette question sera sans aucun doute ‘Oui, faisons un jeu !’« 

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