Trauma

TRAUMA est une expérience photographique unique, par Krystian Majewski, game designer. Plongez dans l’esprit d’une jeune femme traumatisée, pour apprendre et comprendre.

Si je commence cet article par une traduction de la présentation de Trauma, sur son site officiel, c’est qu’il n’est pas facile de décrire cet « objet interactif ». S’agit-il d’un jeu à proprement parler ? Sur plusieurs points, Trauma est à l’exacte opposée des canons du genre : il est incroyablement court (on peut en faire le tour en une petite heure), désespérément contemplatif (on vous y propose d’ « explorer des rêves »)… Et il n’est même pas doté d’un « vrai » gameplay : alors qu’il reprend une partie des codes du jeu d’aventure, les « énigmes » qu’il propose sont, honte sur lui, loin d’être sibyllines. Pourquoi en parler ici, dans ce cas ? Deux raisons principales. D’abord, ces « défauts » n’en sont pas forcément, loin s’en faut – tout est question d’objectif de design. Et ensuite, puisqu’on parle de design, Trauma est une mine de bonnes idées pour les créateurs de webdocumentaires et de newsgames. Cet article est une tentative de les recenser, et de les mettre en valeur.

Au clic de souris, l’utilisateur navigue de photo en photo et progresse dans le jeu.

Trauma débute par une courte vidéo : une jeune fille et ses parents montent dans une voiture, roulent, et ont un accident. Les parents sont tués, et la fille, traumatisée, est hospitalisée. C’est pendant sa convalescence que vous allez avoir l’occasion de pénétrer à l’intérieur de quatre de ses « rêves », quatre facettes de sa personnalité, ou souvenirs, émotions et images se mélangent.

Chacun de ces « rêves » est en fait composé d’une série de photos organisées logiquement et spatialement. Bougez le curseur de votre souris sur l’image que vous avez sous les yeux : des zones réagissent clairement, vous indiquant sans même avoir besoin de vous l’expliquer que d’autres photos sont à portée de clic. Vous pouvez ainsi vous « déplacer » d’un cliché à l’autre, vous attarder sur des détails, contempler un objet particulièrement important sous plusieurs facettes… En bref : vous avez en quelques instants l’impression d’explorer un univers vaste et mystérieux. Mais au moment où vous pourriez commencer à être effrayé par les dimensions du lieu, vous reconnaissez un endroit par lequel vous êtes déjà passé. C’est tout sauf un hasard : le dosage du nombre de possibilités exploratoires est excellent.

Trauma donne à l’utilisateur une vraie sensation de liberté sans jamais le perdre.

L’utilisateur interagit avec l’univers exploré en dessinant des symboles à l’écran.

Rapidement, vous allez vous apercevoir que le clic n’est pas le seul moyen d’interagir avec l’univers de Trauma. Pour vous déplacer, mais aussi pour effectuer des actions (soulever un rocher, capturer un fantôme, trancher à travers une foret…), vous allez dessiner des symboles à l’écran. Encore une fois, Krystian Majewski a très intelligemment limité le nombre de symboles disponibles : il en existe à peine une dizaine. En quelques minutes, vous les maîtriserez donc tous, et évoluer dans l’univers grâce à ces dessins vous sera alors aussi naturel, voire plus, qu’avoir recours au clic. En plus d’être en accord avec le propos du jeu (on dessine des signes kabbalistiques, presque magiques, pour évoluer à l’intérieur d’un univers onirique et irréel), ce dispositif, qui s’adresse directement aux sens de l’utilisateur (toucher, vue, ouie), aide grandement celui-ci à s’approprier l’univers à explorer.

Trauma donne à l’utilisateur une sensation de maîtrise sensorielle sur l’environnement.

En « trouvant » cette photo, vous remplissez l’objectif nommé « A Coffee with the Nighthawks ».

Je ne vais pas, dans cet article, rentrer dans le détail de l’histoire de Trauma. Je ne veux pas vous révéler des éléments qu’il vous sera sans doute agréable de découvrir par vous-même, et de toute façon, cela serait inutile. Ce jeu séduit d’abord par une ambiance très particulière. Alors que vous naviguez d’image en image, la narratrice vous donne, en voix off, des « explications » sur ce que vous découvrez. Cependant, les liens logiques entre tous ces fragments de souvenirs ne vous sont pas imposés. C’est un choix de design : une grande place est laissée à votre imagination, à votre interprétation. L’histoire racontée ne sera pas la même pour tous les utilisateurs, elle dépendra de la sensibilité de chacun. En fournissant relativement peu d’éléments narratifs sur lesquels s’appuyer, Krystian Majewski mise sur le pouvoir d’évocation très puissant des images. Une des seules choses qu’il contrôle, en tant que « storyteller », c’est l’ambiance générale, brumeuse, parfois confuse, qui sert parfaitement son propos : tenter de rendre les méandres d’une âme victime d’un traumatisme.

Trauma installe une ambiance, mais laisse l’utilisateur reconstruire la cohérence du récit.

L’interface de « choix de niveau » de Trauma

Trauma est divisé en quatre « rêves », quatre grandes parties, traitant chacune d’un point de conflit au sein même de l’âme de l’héroïne. Mais la narration n’est pas linéaire : ces rêves peuvent être explorés dans n’importe quel ordre. Ceci dit, la séparation entre les quatre parties n’est qu’apparente. Dans chaque univers, vous trouverez, sous forme de polaroïds, des indices qui vous renverront vers les trois autres, et vous permettront de découvrir de nouvelles zones à explorer. Cette structure a le double avantage de laisser l’utilisateur décider de l’ordre dans lequel il veut consulter les contenus, tout en l’encourageant sans cesse à fouiller chaque recoin, car il a conscience d’avancer non seulement dans la découverte de l’univers qu’il parcourt, mais aussi dans l’ensemble de l’histoire qu’on lui raconte.

Trauma propose une narration délinéarisée, mais bordée et guidée.

Pour chaque partie, un feedback clair renseigne l’utilisateur sur sa progression.

Bien évidemment, une telle organisation est extrêmement complexe. Être sans cesse renvoyé d’une partie à l’autre pourrait avoir pour effet de désorienter complètement l’utilisateur, voire de le décourager de continuer sa progression dans le récit. C’est sans doute pour cette raison que Trauma propose à l’utilisateur des « objectifs » à atteindre dans sa consultation.

Au début, ils ne sont pas utiles : on explore chacun des quatre « rêves », en allant là où notre curiosité nous porte. Mais au bout d’un moment, on est rattrapé par l’impression d’être peut-être passé à côté d’une partie du récit, d’avoir trouvé une « fin » à l’histoire tout en étant conscient qu’il en existe d’autres, encore secrètes. On a alors accès à une interface pratique, « View discoveries », qui tient le compte de toutes nos actions. Combien de polaroïds a-t-on découvert sur les 9 que chaque « rêve » cache ? A-t-on atteint la « vraie » fin de chaque rêve, ou une des 3 fins alternatives ? Ces objectifs, volontairement décrits de manière floue, incitent l’utilisateur à se replonger dans chaque partie, et, au final, à prendre connaissance de tous les éléments narratifs créés par l’auteur.

Trauma fixe à l’utilisateur des objectifs…

L’utilisateur peut vérifier facilement qu’aucun contenu important ne lui a échappé.
 …qui sont aussi des repères.
Un système d’aide vous permet de trouver les clichés qui vous auraient échappé.

Même si sa forme, très particulière, peut déconcerter certains joueurs, Trauma est bel et bien un jeu. Un jeu au gameplay extrêmement simple : vous gagnez si vous arrivez à explorer les quatre « rêves » de fond en comble. Pour ce faire, vous allez devoir accomplir les bon gestes (c’est-à-dire dessiner les bons symboles) aux bons endroits. Mais aussi, et c’est particulièrement intéressant dans l’optique d’utiliser la forme établie ici pour concevoir des webdocumentaires, Trauma est un jeu dans lequel tout est fait pour que les règles du jeu ne se mettent jamais longtemps en travers de votre progression, de votre découverte du contenu. Traduit en langage de fan de jeux d’aventure, ça donne « Les énigmes de Trauma sont trop faciles ! » Grâce aux objectifs, on sait ou chercher les éléments qu’on n’a pas encore découvert. En trouvant les polaroïds, on sait quelle action faire, à quel endroit, pour avancer dans l’histoire. Et il existe même un système pour aider l’utilisateur à débusquer les polaroïds qu’il lui manque.

Trauma comporte dans sa structure même plusieurs niveaux d’aide, pour plusieurs types d’utilisateurs.

Reste le plaisir de progresser, d’explorer un univers entier, riche, émouvant, avec une ambiance et une musique splendides, et sans jamais rester longtemps perdu ou bloqué. Un objectif qui, me semble-t-il, est celui de tout concepteur de webdocumentaire.

Vous pouvez jouer à Trauma en ligne ici : http://www.traumagame.com/trauma.html. Et si l’expérience vous plait, pensez à récompenser le travail de Krystian Majewski en achetant la version off-line du jeu.

« Avenue de l’école-de-Joinville », conception d’un jeu politique.

Article initialement publié sur le blog Je Perds donc Je Pense.

Rue de l'école-de-joinville.

Capture d’écran du jeu Avenue de l’Ecole-de-Joinville. DR.

Avenue de l’Ecole-de-Joinville est le fruit du travail d’une équipe d’étudiants de l’ENJMIN, une école de jeux vidéo basée à Angoulême. Il s’agit d’un jeu (en flash) de gestion original : il vous met aux commandes d’un Centre de Rétention Administrative. Régulièrement, un groupe de personnes arrive dans le centre. Chacun de ces pensionnaires est doté d’une histoire propre, mais ils ont tous en commun d’être a priori en situation irrégulière. A vous de décider si vous devez les expulser ou les libérer.

La tâche peut paraître simple ; elle ne l’est bien sûr pas. Vous avez un budget à respecter, votre centre est vétuste, les pensionnaires tombent malades ou s’énervent… Et surtout, ils sont rapidement trop nombreux pour que vous puissiez vous occuper d’eux individuellement. Allez-vous réussir à garder la situation sous contrôle ? Faites une partie pour vous en rendre compte par vous-même.

Sylvain Payen s’est occupé du game design de Avenue de l’Ecole-de-Joinville, et pour en savoir plus sur ce jeu, nous lui avons posé quelques questions.

JPDJP : Bonjour Sylvain. Quel a été ton rôle dans la conception d’Avenue de l’Ecole-de-Joinville ?

Sylvain Payen : Alors pour faire simple, je suis l’instigateur du projet et son game designer – le game designer étant la personne qui définit les interactions entre le joueur et le jeu, ainsi que leurs conséquences.

JPDJP : Peux-tu nous en dire plus sur le cadre dans lequel Avenue de l’Ecole-de-Joinville a été conçu ?

S. P. : Ce jeu a été réalisé à l’ENJMIN, dans le cadre des projets de fin de première année. En fait, tous les étudiants peuvent proposer un sujet, et ils ont ensuite trois mois pour monter l’équipe et réaliser le projet. Sur le nôtre, nous étions quatre de l’ENJMIN : Sébastien Cardona en programmation, Julie Stuyck en graphisme, Olivier Penot à la gestion de projet et moi-même en Game Design. Un étudiant extérieur, Etienne Robin, à réalisé le son.

JPDJP : Votre jeu a un thème très politique. Comment l’avez-vous choisi ?

S. P. : Alors je conseillerais aux lecteurs d’essayer le jeu avant de lire la suite. C’est fait ? Bon. Les Centres de Rétention Administratifs ne sont pas censés être des prisons, mais dans les faits, et grâce à un certain flou médiatique sur le sujet, ils sont gérés de la même façon (à la grande différence que les retenus n’y sont pas pour des délits et n’ont pas été jugés). Plutôt que de montrer la diversité des CRA, nous avons voulu aborder le sujet à travers un exemple, celui du le centre de Vincennes. Il a été incendié en 2008 suite à une émeute, fait divers qui illustrait parfaitement notre propos. Dans la réalité, l’émeute a été provoquée par la mort d’un des retenus, mais quoi qu’il en soit, la tension était grande. Le centre était régulièrement surpeuplé, on y entassait des populations en difficulté d’une manière inhumaine (280 retenus, avec un renouvellement de 30 personnes par jour). Au-delà du débat sur la politique d’immigration, les CRA sont des établissements inhumains, et voués à l’échec. C’est principalement sur ce dernier point que nous voulions interpeller le joueur.

JPDJP : Justement, comment vous y êtes-vous pris ? Quel est le but du jeu ?

S. P. : Le joueur doit gérer un Centre de Rétention Administratif. Il peut s’intéresser a beaucoup de choses : améliorer les salles, s’occuper des retenus ou les réprimer, et même essayer de leur obtenir des papiers ou les reconduire à la frontière. Dans tout les cas les actions sont limitées par leur coût, et surtout le CRA se remplit continuellement.

JPDJP : Vous êtes donc partis d’une actualité « réelle », et vous en avez fait un jeu. Comment cela s’est-il passé ?

S.P. : En fait, la grande question que nous nous sommes posée est « A quel point allons-nous utiliser des éléments du réel ? » Nous avons utilisé les statistiques des origines géographiques des occupants du CRA de Vincennes et nous nous sommes fortement inspirés des histoires d’anciens retenus, que l’on a pu trouver dans des rapports de la Cimade. Ensuite, pas mal de détails correspondent à la moyenne des données des CRA (les différentes pièces qu’on peut trouver dans un centre, les coûts des procédures…). Mais compte tenu du nombre de retenus à Vincennes, nous ne pouvions évidement pas coller à la réalité. : avec presque 300 pensionnaires, le jeu aurait été injouable. C’est finalement assez difficile de trouver des infos sur les CRA, on trouve des faits divers, mais à part les rapports de la Cimade, pas grand chose sur la vie quotidienne des retenus. Alors nous avons voulu montrer ce qui pour nous est l’essentiel : les CRA sont structurellement ingérables.

JPDJP : Quel était le but de votre démarche, en faisant un jeu sur un tel sujet ?

S. P. : Notre objectif était de permettre aux gens de se renseigner un peu sur les CRA et de voir par notre jeu, mais aussi par des sources plus factuelles, que la situation de ces centres n’est pas tolérable. Mais ce sur quoi nous étions tous d’accord, c’était de ne pas tomber dans le piège d’une dénonciation partisane. A vrai dire, les CRA ont été créés sous Mitterrand, et depuis, il n’y a jamais eu de réelle volonté politique de remettre en cause les conditions de rétention.

JPDJP : Que pensez-vous de votre jeu, au final ?

S. P. : A posteriori, c’est certain qu’il y a beaucoup de choix de conception que nous aurions fait différemment. Mais il s’agit avant tout de détails qui auraient rendu le jeu plus simple à maîtriser. Théoriquement, lorsque le joueur essaie le jeu sans connaître le caractère inévitable de la fin (l’incendie du centre, ndlr), il recommence plusieurs fois pour tenter de gérer au mieux le CRA. Le joueur découvre ainsi toutes les possibilités qui s’offrent à lui, et surtout la limite de chacune des stratégies.

JPDJP : Plus généralement, penses-tu que les jeux vidéo peuvent être un medium intéressant pour décrire le monde ?

S. P. : Décrire le monde… le jeu vidéo, en tout cas le nôtre, n’est pas une simulation, il ne dépeint pas la réalité. Quand on conçoit un jeu vidéo on choisit les stratégies  qui seront gagnantes, donc on défend forcément un point de vue. Alors pour décrire le monde non. Mais pour mettre en avant une opinion, oui, absolument, et c’est sans doute l’un des médias les plus pertinents. Car il permet aux utilisateurs d’expérimenter, et donc de comprendre par eux-mêmes.

JPDJP : Vous avez obtenu un prix pour ce jeu…

S. P. : Oui, nous avons reçu le prix du Ministère de la culture aux derniers E-magiciens . A vrai dire je ne sais trop quoi en penser. Ce qui est évident, c’est que l’incendie du CRA de Vincennes est un fait incontestable. Et honnêtement ce n’est pas très subversif que de dire que les CRA sont inhumains. Donc je pense que  nous donner ce prix, c’était une manière pour le ministère de montrer une ouverture d’esprit, sur un sujet qui au final est assez consensuel…

Propos recueillis par Florent Maurin.

Un jeu vidéo journalistique ? Mais qu’est-ce qui vous a pris ?

Article initialement publié sur le blog Je Perds donc je pense.

C’est vrai ça. Mais quelle mouche a bien pu piquer Le Monde.fr pour se lancer, avec KTM Advance et l’ESJ Lille, dans la production d’un jeu vidéo d’actu sur la primaire ?

>>> Cliquez ici pour tester le jeu !

Le jeu vidéo est devenu plus qu’un jeu. La démarche a d’abord été une interrogation sur la pratique du jeu vidéo. Ces dernières années, il a pris une place importante dans la société. Les petits jeux sur Internet ou les consoles « familiales » ont permis à ce loisir de conquérir un plus large public. Et en tant que média, le jeu vidéo a de nombreux atouts : interactivité, attractivité, dynamisme, capacité à proposer à l’utilisateur d’explorer une représentation de la réalité… A tel point qu’aujourd’hui, on développe aussi des « serious games » (ou jeux sérieux), qui tentent de combiner ressorts ludiques et intention sérieuse. Ce blog en a montré de nombreux exemples.

Martine Aubrov

Le jeu vidéo est aussi un outil journalistique. « Primaires à gauche : stratégies de campagne » est né de cette tendance, mais surtout d’une série de questions. Des journalistes peuvent-ils utiliser le jeu vidéo pour rendre compte d’une situation ?

Pourquoi ne pas tenter de modéliser, sous forme d’un système doté de ses règles propres, une actualité complexe, impliquant un grand nombre de personnes, de facteurs et de variables ? Et en proposant au lecteur curieux de devenir joueur, en l’incitant à explorer ce système pour atteindre un objectif défini en début de partie, ne pourrait-on pas lui permettre de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de l’actualité traitée par le jeu ?

Pourquoi un jeu vidéo sur la primaire ? Ainsi, vous allez

Ségolène Royic

découvrir sur Le Monde.fr le premier « newsgame » sur la politique française. Dans « Primaires à gauche », vous pourrez incarner un candidat à l’investiture de la gauche pour l’élection présidentielle. Ce projet expérimental, mené par Le Monde.fr et KTM Advance (entreprise spécialisée dans le développement deserious games), en collaboration avec l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, mêle le plaisir du jeu à la démarche journalistique. En choisissant votre candidat, les tyle de votre campagne, vos orientations politiques, vous allez mettre sur pieds une stratégie et débattre contre vos adversaires pour tenter de séduire les électeurs. Vous allez aussi découvrir, d’une manière ludique et légère, le calendrier d’une primaire, ses rebondissements et ses principaux acteurs.

Évidemment, « Primaires à gauche » n’est pas une simulation réaliste, et n’a pas pour but de rendre compte de la réalité dans toute sa complexité, comme le feraient un documentaire ou un livre sur le sujet. Pas question non plus de prétendre replacer les formes de journalisme classiques (articles, vidéos, sons…) par le jeu. Le défi, sur ce projet, était d’essayer une autre approche, de construire un système entier, une représentation cohérente quoique simplifiée de la réalité.

Voir un exemple de partie en vidéo :

Bertrand Delanov

Jouez, réfléchissez et racontez-nous ! Maintenant, à vous de jouer ! Avez-vous réussi à remporter la primaire ? Avec quel candidat ? Comment avez-vous construit la stratégie de votre campagne ? Quelles orientations politiques avez-vous suivies ? Donnez-nous dans les commentaires le détail de votre partie.

Bonne campagne !

Nabil Wakim et Florent Maurin

Webdocumentaires et narration non-linéaire

Article initialement paru sur le blog Je Perds donc je pense.
Chalk Paths, par Eric Ravilious

Il y a quelques jours, David Dufresne, coauteur du webdocumentaire Prison Valley (dont nous avons déjà parlé sur ce blog) signalait sur Twitter un excellent cours en ligne dirigé par le Game Designer Ian Schreiber, et plus particulièrement un chapitre consacré à la narration délinéarisée dans les jeux vidéo.

A la lecture de ce passionnant article, une constatation s’imposait : ce que Schreiber décrivait s’appliquait aussi, en grande partie, aux structures narratives déployées dans les webdocumentaires. J’ai donc profité d’une formation sur la scénarisation interactive, donnée à l’EMI-CFD la semaine dernière, pour tenter d’adapter la taxinomie de Schreiber aux « webdocs ». Quelques aménagements ont été nécessaires, pour arriver au résultat présenté ci-dessous.
En outre, si les webdocumentaires sont encore une forme relativement neuve, le jeu vidéo, en revanche, a déjà quelques années d’expérience derrière lui. Il a notamment su développer plusieurs techniques pour susciter l’implication de l’utilisateur, le stimuler ou l’aider à s’orienter. Or, c’est parfois une dimension qui manque cruellement aux webdocumentaires, riches de contenus passionnants, mais effrayants car ils proposent une quantité d’information gigantesque sans accompagner l’utilisateur dans sa consultation. Il est sûrement temps pour eux de s’inspirer de leurs voisins ludiques, tout en gardant, bien sûr, leurs spécificités. Je propose quelques pistes dans la seconde partie de cette présentation.

Les mécaniques de jeu dans les webdocumentaires

Article initialement paru sur le blog Je Perds donc je pense.

La démocratisation de l’accès Internet à haut débit et des outils de production multimédia comme le logiciel Flash ont permis, depuis quelques années, à un nouveau genre de documentaire de fleurir sur la toile : le webdocumentaire, ou « webdoc ». Sous ce nom générique se regroupent des objets différents, mélangeant en proportion variables photos, vidéos, textes et autres média, mais partageant deux points communs : être interactif… et se baser sur une démarche documentaire.

Webdocu.fr
Le site Webdocu.fr référencie de nombreux documentaires sur Internet. D.R.

Mais une différence fondamentale sépare le webdocumentaire de ses cousins audiovisuel ou radiophonique : le public n’y est plus simple spectateur. Libre à lui de choisir ce qu’il veut voir. Dans le documentaire classique, l’auteur expose un point de vue, raconte une histoire, et mène l’auditoire d’un point A à un point B. Le webdocumentaire fonctionne différemment. Il est par essence interactif. Souvent, même, le récit y est délinéarisé ; il ne suit plus une progression en ligne droite mais plutôt la volonté de celui qui le consulte, qui peut faire des détours, s’attarder sur un aspect des choses, en occulter un autre…

Cette liberté n’est pas sans susciter de critiques. Certains parmi les adeptes des formes plus classiques estiment que c’est la cohérence du travail documentaire qui est en danger s’il n’est pas permis à l’auteur d’attirer obligatoirement l’attention sur tous les points qui lui semblent les plus cruciaux. Le « regard » de l’auteur, un des éléments qui différencient un documentaire d’un reportage purement journalistique, est alors altéré. Et il est vrai que la narration, dans un « webdoc », se pense de façon totalement différente. Il faut concevoir une interface et réfléchir au bon dosage du mélange des média (son, image, texte, vidéo, animations…), mais surtout penser le cheminement de l’utilisateur à l’intérieur de l’objet interactif.

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Sur son site Internet, David Dufresne, auteur de Prison Valley, conseille une sélection de webdocs. D.R.

Il suffit de consulter quelques webdocumentaires ambitieux (comme Prison Valley , Soul Patron , La Vie à sac …), pour en conclure que parfois, la liberté qui est offerte est vertigineuse, voire paralysante. Au gré de votre souris, vous lancez la vidéo d’un témoignage, faites apparaître une carte, vous éloignez de l’histoire principale… Et souvent, vous finissez par arrêter la consultation, étourdi par l’impression de ne plus savoir où vous allez. A l’inverse, les Webdocs qui prennent le parti de conserver une structure très linéaire, dans lesquels l’interactivité se limite à un clic pour passer à la « page suivante », provoquent rapidement un sentiment d’enfermement et de lassitude.

Sur ce point, les réalisateurs de webdocumentaires gagneraient à s’inspirer des concepteurs de jeux vidéo. Car la question qui se pose ici, « Comment donner à l’utilisateur un sentiment de liberté tout en le motivant à faire avancer le récit ? », cela fait plus de trente ans qu’elle obsède nombre de game designers. Et ils ont trouvé quelques réponses, illustrées largement dans un genre particulier, le jeu d’aventure. Le principe y est simple : le joueur a un objectif défini (retrouver un disparu, élucider un meurtre, etc…), et il doit, pour l’atteindre, parcourir tout un univers à la recherche d’indices qui font avancer l’intrigue.

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Capture d’écran du web-documentaire Voyage au bout du charbon. D.R.

Le premier webdoc à avoir, à ma connaissance, exploité ce genre de piste, est Voyage au bout du charbon. Construit comme un Livre dont vous êtes le héros , ce travail de Samuel Bollendorff, Abel Ségrétin et Honky Tonk met le spectateur dans la peau d’un journaliste menant une enquête sur les conditions de vie des mineurs chinois. Régulièrement, il faut prendre des décisions sur les endroits qu’on veut visiter, les personnes qu’on doit chercher à rencontrer, les questions que l’on désire poser. Parfois, on arrive dans un « cul de sac », et il faut alors remonter à l’embranchement narratif précédent pour explorer les autres possibilités.

Ces embranchements, qui correspondent à des lieux, sont représentés sur une carte, pour permettre de se repérer. Et on se prend au jeu, à tenter de faire les « bons » choix, à revenir sur ses pas quand on a l’impression d’avoir raté quelque chose, à passer en revue l’ensemble des possibilités. La mécanique a le grand mérite de renforcer l’immersion dans le récit, grâce à une utilisation intelligente et bien scénarisée de l’interactivité. Mais elle est très simple, sûrement trop pour fonctionner sur la durée, d’autant plus que, malgré la promesse initiale, Voyage au bout du charbon ne propose pas de véritable objectif à accomplir.

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La carte de Voyage au bout du charbon. D.R.

Une autre tentative, plus récente, adopte la même « mécanique de gameplay » que Voyage au bout du charbon, mais en la poussant un cran plus loin. Il s’agit d’Inside Disaster , un webdoc sur le tremblement de terre en Haïti, réalisé par PTV Productions pour TVO (une télé publique canadienne).

Cette fois, il est possible d’incarner tour à tour trois personnages dont la vie a été bouleversée par la catastrophe : un survivant, un journaliste ou un travailleur humanitaire. De fait, la structure narrative est complexe, car pour chaque « personnage », de nombreuses possibilités s’offrent à vous. Mais quels que soient vos choix, vous serez néanmoins amené à visualiser certains moments-clés du récit :  tous les chemins mènent à Rome…

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L’écran de « sélection du personnage » du web-documentaire Inside Disaster. D.R.

D’autre part, vous réaliserez que le destin du personnage que vous avez choisi croise celui des deux autres. Dès lors, Inside Disaster se signale par sa « rejouabilité » : une fois qu’on a « accompli » une « mission », on a envie de parcourir le webdocumentaire à nouveau, mais en changeant de point de vue. Vous avez refusé, en tant que travailleur humanitaire, de distribuer vos provisions à la sauvette pour que le plus de personnes possible en bénéficie, et ça vous a semblé juste. Mais aurez-vous le même avis quand vous serez « dans la peau » du survivant ? C’est une des vertus des mécaniques du jeu vidéo : favoriser l’empathie, par une forme d’identification au personnage qu’on incarne. Mariée à une démarche documentaire, cette caractéristique ouvre de nouvelles possibilités.

Un troisième webdoc va même encore plus loin dans son utilisation de mécaniques du jeu vidéo. Réalisé pour l’ONG de défense des médias Press Now, On the Ground Reporter vous fait à nouveau enfiler la casquette de grand reporter. Mais cette fois, vous devez réaliser un reportage indépendant pour Radio Darfour, une mission délicate et risquée…

Dès les premiers instants de navigation, on retrouve dans On the Ground Reporter des éléments constitutifs du jeu vidéo d’aventure classique : vous avez à votre disposition une somme d’argent, un inventaire vous permet de stocker des objets et de les utiliser pour résoudre des « énigmes », certains lieux sont inaccessibles, faisant office de « niveaux », un carnet se remplit au fur et à mesure de votre progression pour vous rappeler vos objectifs… Et le « gameplay » (les règles du jeu), même s’il reste plutôt simple (sûrement pour ne pas entraver la progression du « joueur »), est porteur de sens. Un exemple : quand vous arrivez à Kornoy, dans le nord du Darfour, vous tentez de vous adresser aux villageois… Mais ils vous parlent en arabe, et vous ne pourrez les comprendre qu’une fois que vous aurez trouvé un traducteur. Un moyen efficace de faire saisir l’importance des « fixeurs » locaux pour les journalistes internationaux.

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Dans On the Ground Reporter, à moins de lire l’arabe, on ne comprend pas les villageois sans traducteur. D.R.

Il n’est évidemment pas question pour les web-documentaires de devenir des jeux vidéo à part entière. Mais ces trois exemples donnent une idée de ce que l’utilisation bien pensée de mécaniques vidéoludique peut apporter à certains webdocs, en matière de narration, d’immersion et de stimulation du public. Puisque la famille des documentaires interactifs sur Internet est de toute façon d’une très grande variété, pourquoi ne pas creuser cette piste au même titre que les autres ?

Une mise en garde, néanmoins. Après avoir connu une heure de gloire dans les années 80 et 90, le genre du jeu vidéo d’aventure traverse actuellement un passage à vide. Ce qu’on lui reproche ? Avoir tendance à camoufler, sous un aspect d’univers ouvert où le joueur peut évoluer librement, une trop grande linéarité. En donnant à l’utilisateur un accès à l’interactivité, et donc le goût de la liberté, le webdocumentaire a peut-être, sans le savoir, ouvert la boite de Pandorre…

Sur le même sujet, voir aussi Webdocumentaires et narration non-linéaire.

Jeu d’actu : comment construire un système ? (1/2)

Article initialement publié sur le blog Je Perds donc je pense.

Quelques jours après la sortie officielle de « Primaires à gauche« , et alors même que fleurissent sur ce blog les premiers retours de joueurs, il est temps pour nous de vous en dire un peu plus sur la conception de ce premier « newsgame » français.

Le projet « Jeu vidéo d’actualité », qui a réuni Lemonde.fr, l’entreprise de « serious games » KTM Advance et l’Ecole de journalisme de Lille, a débuté en décembre 2009. A l’époque, nous ne savions pas encore quel sujet nous allions essayer de traiter par le jeu vidéo. En revanche, nous tenions à tenter de modéliser un système dans son ensemble – un de ces problèmes complexes, faisant interagir de nombreux acteurs, et qui génèrent une actualité parfois difficile à traiter à une échelle globale.

Rapidement, en comparant nos contraintes de production avec le « calendrier » de l’actualité, nous nous sommes rendu compte que la primaire socialiste à venir pourrait être un bon objet d’expérimentation. En permettant au lecteur du Monde.fr de se glisser, le temps d’une partie, dans la peau d’un candidat, peut-être pourrions-nous l’amener à réfléchir sur le déroulement d’une campagne et les choix stratégiques auxquels les politiques ont à faire face. Mais il nous fallut alors répondre à une question : comment construire, dans un jeu vidéo, une représentation du paysage politique impliqué dans cette élection ?

Si nous voulions tirer parti du principal intérêt du jeu vidéo, la modélisation de systèmes, nous devions justement tenter de faire du journalisme selon une méthode systémique. Plus question de conter, au jour le jour, la campagne de Martine Aubry ou celle de François Hollande telles qu’elles se dérouleraient. Nous allions au contraire adopter une approche globale, et tricoter un canevas suffisamment cohérent pour pouvoir y loger les différents éléments du gigantesque puzzle qu’est la primaire.

Mais ces éléments, quels sont-ils ? Quels sont les lien qui les mettent en relation les uns par rapport aux autres ? Et quelle(s) taxinomie(s) adopter pour organiser le système ?

Rapidement, en étudiant le précédent disponible, c’est-à-dire la primaire socialiste de 2006, nous nous sommes rendu compte d’un premier point important, qui allait poser les bases de notre représentation de celle de 2011.

Il apparaissait clairement que les trois candidats principaux d’alors, madame Royal, monsieur Fabius et monsieur Strauss-Kahn, ne faisaient pas de la politique de la même façon. En décortiquant chacune de leurs actions, leurs déclarations, leurs discours, nous avons défini cinq « styles », cinq grandes familles, cinq formes d’expression politique :

  Les candidats pouvaient miser sur les idées nouvelles

  Ils pouvaient choisir d’être présents dans les médias

  Ils pouvaient opter pour l’action sur le terrain

  Ils pouvaient investir sur les alliances, dans et en dehors du parti

  Et force est de constater qu’ils subissaient aussi, parfois, des coups bas.

Évidemment, aucun des candidats n’optait exclusivement pour un seul de ces styles. Néanmoins, il nous paraissait pertinent de dire par exemple que Si Dominique Strauss-Kahn misait plus volontiers sur les idées et les alliances, Ségolène Royal, elle, était plus volontiers présente dans les médias et sur le terrain.

La fiche de la candidate Ségolène Royic

Cette taxinomie, qui fonctionnait pour les candidats de la Primaire de 2006, semblait aussi permettre de qualifier les prétendants de 2011. Et si ces styles pouvaient définir les candidats, ils pouvaient aussi s’appliquer à leurs soutiens éventuels. L’ensemble des personnages publics impliqués dans une primaire, la totalité des personnalités susceptibles d’avoir une influence sur le vote des électeurs, pouvaient être affiliés à une de ces cinq grandes familles. Voici quelques exemples : les chercheurs et les experts qui conseillent les politiques étaient à ranger en « Idées » ; les associations et les élus locaux en « Terrain » ; les apparatchiks et les briscars du parti (ainsi que ceux des partis alliés) en « Alliances » ; les people, éditorialistes et autres en « Médias » ; et les hommes de l’ombre trouveraient refuge dans le peu glorieux style « Coups bas ».

Et puisque nous voulions utiliser l’expressivité, la rhétorique du jeu vidéo, il fallait que chacun de ces « styles » politiques ait un « gameplay » propre – un ensemble d’avantages et d’inconvénients qui refléteraient, si possible, la réalité politique. Le style « Médias » allait être puissant à court terme mais s’essouffler à long terme, au contraire du style « Terrain » qui mettrait du temps à démarrer mais miserait sur la force du nombre. Le style « Idées » serait défensif, proposant des protections, comme un politique qui a bien travaillé ses dossiers est assuré de ne pas être pris au dépourvu. Le style « Alliances » permettrait de s’affranchir des règles, en prenant le meilleur des autres styles. Quant au style « Coups Bas », il serait potentiellement efficace, mais aussi très risqué – et de toute façon moins puissant que les autres, car nous ne voulions pas donner l’idée que les coups bas sont payants à long terme en politique. Peut-être un péché d’angélisme de notre part.

Nous avions ainsi établi un premier mode de classification, basé sur la forme. Mais nous allions rapidement nous rendre compte que pour tenir un propos sur un sujet aussi délicat que la politique, cette simple taxinomie allait se révéler insuffisante…

Jeu d’actu : comment construire un système ? (2/2)

Article initialement publié sur le blog Je Perds donc je pense.

Pour lire la première partie de cet article, cliquez ici.

Avec nos cinq styles, nous pouvions organiser la totalité du paysage politique impliqué dans la primaire en grandes familles. Mais cette classification n’était néanmoins pas assez expressive : elle n’était porteuse de sens que sur la forme – la façon de faire de la politique -, et pas sur le fond – les idées défendues.

Pour inclure ces idées dans notre jeu, nous devions à nouveau tenter d’établir une taxinomie qui les organiserait de manière simple. En étudiant les déclarations récentes des candidats présumés à la primaire, mais aussi des documents de référence comme le projet du PS, nous avons donc dégagé huit « orientations politiques ».

Cinq d’entre elles sont plutôt générales :
Economie : toutes les prises de position des candidats sur les banques, les marchés financiers, la lutte contre la crise et le chômage, la réforme des retraites ou du système fiscal…
Ecologie : les thématiques écologistes abordées au PS, comme les OGM, le nucléaire, les émissions de CO2 et le réchauffement climatique, la biodiversité, la TVA écomodulable…
Société : les grandes questions sociales, telles que la place accordée à l’éducation, les jeunes, l’égalité homme/femme, les droits des homosexuels, la santé, les libertés individuelles, la culture, le logement…
Ethique : les déclarations sur les valeurs qui doivent habiter les candidats, comme la lutte contre le racisme ou le populisme, l’indépendance de la justice, le recours à la démocratie locale, la protection des institutions républicaines, le respect des adversaires politiques et des électeurs…
International : les arguments sur la place de la France dans le monde, les politiques européennes, les rapports nord-sud, la diplomatie, l’immigration…

Et trois autres sont plus spécifiques au fait que le jeu porte sur une primaire au parti socialiste :
Héritage : les prises de position de type « profession de foi », qui s’adressent aux socialistes de toujours, comme la défense des français les plus faibles, l’ancrage politique local, les références aux pères du socialisme, et d’une manière générale l’allégeance au parti et à ses valeurs…
Plus au centre : les déclarations qui situent un candidat plutôt à la « droite » du parti socialiste et défendent la rigueur budgétaire, le réalisme économique, l’allégement de la fiscalité des PME, l’ouverture pragmatique aux partis du centre, voire des positions plus polémiques, comme le « déverrouillage » des 35 heures.
Plus à gauche : les déclarations qui situent un candidat plutôt à la « gauche » du parti socialiste, comme la défense du service public, la lutte contre les délocalisations, la redistribution fiscale, les nationalisations, le contrôle des hauts salaires…

Nous avions donc une double taxinomie, qui nous permettait de qualifier, sur la forme comme sur le fond, l’ensemble des personnages publics qui allaient potentiellement jouer un rôle dans cette primaire. Mais nous avions aussi une troisième variable à prendre en compte – une variable qui nous permettrait de « hiérarchiser » ces personnages les un par rapport aux autres.

En effet, chaque « acteur » potentiel de la primaire n’aura pas la même influence potentielle sur les électeurs. En matière de politique, la voix de Robert Badinter porte par exemple plus que celle du rappeur Joey Starr, Lionel Jospin est plus écouté que Laurianne Deniaud (présidente des Jeunes Socialistes), etc. Cette influence potentielle, que nous avons nommée « poids politique », nous avons décidé de l’exprimer avec un chiffre, compris entre un et cinq points. Dans le jeu, plus ce chiffre est élevé, plus le personnage peut convaincre rapidement les électeurs de voter pour le candidat qu’il défend.

Lionel Jospov

 

Une fois ces trois taxinomies définies, il nous restait à établir la liste de toutes les personnalités dont nous pensions qu’elles auraient peut-être un rôle à jouer, en nous basant sur la primaire de 2006 et en analysant l’actualité politique. Puis, nous avons attribué à chacun un « style », une « orientation politique » et un « poids politique » – attributions subjectives, mais basées sur notre analyse de l’actualité, et dont nous serions heureux de discuter avec vous sur ce blog.

Et pour qualifier chaque personnage encore un peu plus finement, nous leur avons attribué une « déclaration », sorte de résumé d’une problématique à laquelle la personne concernée est particulièrement sensible. Exemple : dans le jeu, Stéphane Hessel est lié à la déclaration « Les politiques, comme les citoyens, doivent savoir s’indigner », référence au combat qu’il mène dans son livre, « Indignez-vous ». En fonction des déclarations que le joueur prononce, il décide donc, en conséquence, des personnalités qui vont se rapprocher de son équipe de campagne.

Ainsi établi, notre système permet à la fois une description relativement fine du paysage politique et une certaine flexibilité. Si, dans les mois qui viennent, des personnes auxquelles nous n’avons pas pensé jouent un rôle important dans la campagne de cette primaire, nous pourrons facilement les inclure dans le jeu en les décrivant par cette triple qualification. Si vous en remarquez dans l’actualité, n’hésitez pas à nous les signaler !

Produire des jeux vidéo pour informer

Article initialement publié sur Lemonde.fr.

Est-il possible pour une rédaction en ligne d’avoir recours au jeu vidéo pour informer ? En pratique, le jeu vidéo souffre d’un gros défaut : sa production est très longue. Design, graphisme, son, programmation… Concevoir un jeu de manière traditionnelle demande en général plusieurs mois. Or, les sites d’informations cherchent à coller au rythme de l’actualité.

Les temporalités du jeu vidéo et de l’actualité pourraient se concilier si les journalistes avaient à leur disposition une plate-forme logicielle qui les aide à fabriquer des jeux très rapidement. C’est la conclusion à laquelle Eric Brown et Asi Burak étaient arrivés quand ils ont créé Play the News.

PRÉDIRE L’ÉVOLUTION DE L’ACTUALITÉ

Ce titre s’apparentait moins à un jeu vidéo d’information qu’à un jeu vidéo sur l’information, son traitement et sa consommation. Régulièrement, dans un module en flash, des journalistes faisaient le point sur une actualité « en cours », grâce à des vidéos, du texte ou des infographies interactives. Puis, chaque participant devait répondre à deux questions : comment jugeait-il personnellement que la situation devrait évoluer et que pensait-il qu’il allait effectivement se passer ?

Capture d'écran de "Play the News".
Capture d’écran de « Play the News ». D.R.

Quelques jours plus tard, quand l’issue de l’événement était connue, la rédaction de Play the News informait les joueurs de la pertinence de leurs prédictions, et faisait évoluer leur score en fonction. En participant à un grand nombre de mini-jeux différents (et donc, en s’informant sur un grand nombre de sujets pour affiner ses prédictions), on augmentait ses chances de battre les autres participants. Play the News ne s’apparentait pas seulement à une compétition, puisque chaque module d’information était accompagné d’un forum de discussion, sur lequel la communauté pouvait discuter avec la rédaction de la pertinence des différentes prédictions proposées.

Le site a toutefois fermé ses portes, incapable de trouver un modèle économique viable, même si pendant la phase de bêta-test, le retour des utilisateurs fut très positif.

Capture d'écran de "Playing the news".
Capture d’écran de « Playing the news ». D.R.

INTERVIEWER DES INTERLOCUTEURS

Grâce à une dotation de la Knight Foundation, une ONG américaine de promotion du journalisme, Nora Paul et Kathleen Hansen tentèrent de développer un autre programme, Playing the News, qui permette de générer facilement des « jeux vidéo de simulation » dans lesquels l’utilisateur pourrait, en interviewant virtuellement différents interlocuteurs, acquérir un ensemble de connaissances sur une actualité particulière.

En prenant pour sujet le débat autour des agrocarburants, elles conçurent un prototype, qu’elles firent tester à un panel représentatif de consommateurs d’informations. Ces derniers eurent aussi accès à quatre autres modes de présentation : un article classique, un article court accompagné de liens classés par ordre chronologique, une série de liens organisés par sous-thématiques, et une sorte de jeu de l’oie virtuel dans lequel il fallait collecter des indices pour répondre à des questions. Chacune de ces propositions contenait exactement les mêmes informations, seul le mode de présentation changeait.

Le résultat fut cruel pour le « jeu vidéo de simulation », qui finit dernier des classements des utilisateurs. Il ne fut jugé ni efficace pour apprendre des informations sur un sujet complexe comme les agrocarburants, ni même amusant à utiliser. « Le problème, analyse Kathleen Hansen, c’est que même si elle reprenait les codes esthétiques du jeu vidéo d’aventure, il manquait à notre tentative quelque chose d’essentiel : elle n’avait pas de mécanique ludique. »

ENDOSSER UNE IDENTITÉ

Cet échec et le succès de Play the News amènent à un constat : pour concevoir une plate-forme de production de jeux vidéo d’actualité efficace, il faut comprendre le processus cognitif qui permet d’apprendre des choses en jouant. L’universitaire américain James Paul Gee, auteur de What Video Games Have to Teach Us About Learning and Literacy (« Ce que les vidéos peuvent nous apprendre sur l’apprentissage », (2003)), explique : « Pour apprendre, quel que soit le domaine, il faut endosser une nouvelle identité, et créer des ponts entre celle-ci et les anciennes que nous avons déjà. Un étudiant en sciences n’apprendra bien dans sa discipline que s’il ‘joue le rôle’ d’un scientifique, pas s’il retient par cœur une série d’équations dans un livre. Or, les bons jeux vidéo encouragent d’une manière claire et puissante le joueur à se forger une identité, et à avoir une réflexion sur cette identité. »

Les journalistes ne sont pas des professeurs, mais l’utilisation d’un outil aussi puissant que le jeu vidéo pour expliquer des problématiques complexes pourrait néanmoins leur être utile. C’est l’avis de Gail Robinson, la rédactrice en chef de la Gotham Gazette, qui a pu, grâce à un programme financé par la Knight Foundation, produire une série de jeux sur l’information. « Alors que le Web arrive à maturité, assure-t-elle, la question cruciale que nous, journalistes, avons à nous poser est : ‘Quelle est la meilleure façon d’intéresser et d’informer nos lecteurs sur le sujet du jour ?’ Et parfois, la réponse à cette question sera sans aucun doute ‘Oui, faisons un jeu !’« 

Le jeu-reportage

Article initialement publié sur Lemonde.fr

Une partie importante du travail journalistique consiste à raconter des histoires. Les reportages, portraits ou encore documentaires rendent ainsi compte d’une réalité constatée sur le terrain, grâce à des exemples, qui les rendent vivants et parlent au public. Le jeu vidéo, lui, peut aller encore plus loin, en permettant à l’utilisateur de vivre virtuellement une expérience précise, pour mieux la comprendre.

C’est notamment le but d’un récit interactif comme Envers et contre tout. Dans ce jeu, produit par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, on incarne un opposant à un régime militaire, contraint de fuir son pays pour ne pas finir en prison. Les épreuves affrontées sont nombreuses : interrogatoire musclé, fuite précipitée en pleine nuit, arrivée dans un pays étranger et hostile, difficultés d’intégration…

A chacune des douze étapes du périple, un mini-jeu demande de prendre des décisions, alors même que, comme son personnage, le joueur n’a pas toutes les données du problème en main. A la moindre erreur, la sanction est sans appel : c’est le « game over », qui provoque un puissant sentiment d’injustice. La réussite, elle, est récompensée par l’accès au niveau suivant, mais aussi à des documents pour en savoir plus sur la vie du réfugié. A la fin d’une partie, le joueur a l’impression d’en avoir appris autant que grâce à un reportage classique sur les réfugiés politiques, mais de manière plus vivante, plus incarnée.

Pour autant, Envers et contre tout n’est pas entièrement satisfaisant du point de vue du joueur. Il adopte une forme de narration très linéaire, ce qui le rend moins intéressant à rejouer : chaque partie ressemble à la précédente.

Capture d'écran du jeu Envers et contre tout.
Capture d’écran du jeu Envers et contre tout. D.R.

LAISSER L’INTERNAUTE SE DIRIGER

Dans le monde du documentaire aussi, la narration linéaire a été remise en question ces dernières années. « Aujourd’hui, dans certains de nos webdocumentaires, nous suivons la piste de la ‘délinéarisation’, revendique Alexandre Brachet, du studio de production de contenus multimédias Upian. Nous tentons de laisser l’utilisateur choisir quel contenu il veut consulter, et quand il veut le faire. Je pense que cela devient un des piliers de l’écriture interactive. » Une question se pose alors : si l’auteur renonce à prendre son public par la main, à le guider à travers son documentaire, comment peut-il être sûr que son travail sera consulté intégralement, et bien compris ?

Sur ce point, les jeux vidéo ont un avantage sur les documentaires. « Si les films et les récits écrits sont très efficaces pour raconter des histoires, détaille le chercheur américain Ian Bogost, les jeux vidéo atteignent leur plein potentiel quand ils modélisent des comportements, quand ils décrivent des processus du monde réel par l’intermédiaire de processus informatiques. » Le travail du documentariste vidéoludique pourrait donc être de rassembler les informations et les témoignages nécessaires pour bâtir une représentation virtuelle crédible du sujet dont il veut traiter. Au joueur, ensuite, d’explorer cette représentation.

DANS LA PEAU DU TUEUR DE KENNEDY

Le sulfureux JFK Reloaded (jeu payant) est une bonne illustration d’une entreprise de ce type. Quiconque a déjà vu une photo de la funeste place Dealey, à Dallas, peut immédiatement reconnaître le lieu, reproduit en trois dimensions, où le président américain John F. Kennedy fut assassiné le 22 novembre 1963. Tout y est : Houston et Elm Street, la voiture décapotable qui passe à une allure modérée avec Kennedy à l’arrière, l’immeuble du Texas School Book Depository, et à une fenêtre du cinquième étage, Lee Harvey Oswald, armé d’une carabine. C’est cet homme que le joueur va devoir incarner. Il va devoir abattre le président, et sa « performance » va ensuite être analysée par l’ordinateur, qui va lui attribuer une note, basée sur sa similitude avec les faits décrits dans le rapport balistique de la commission Warren.

A sa sortie, en 2004, le jeu a fait scandale. On lui a reproché son côté mortifère et malsain ainsi que le malaise qu’il provoquait chez le joueur au moment de tirer sur Kennedy. On peut évidemment entendre ces arguments, mais on peut aussi estimer qu’ils font partie de la rhétorique du jeu, tant il est normal de se sentir mal à l’aise dans la peau d’un assassin. Il faut aussi reconnaître à JFK Reloaded une qualité : il s’agit d’une reconstitution très pointue. Les « données du problème » de l’assassinat de Kennedy, en tout cas selon la version officielle, sont parfaitement mises à la disposition de l’utilisateur. La vitesse de la voiture, les propriétés de la carabine, la trajectoire des balles dans le corps de la victime… tout est simulé informatiquement pour coller au plus près à la réalité. Dès lors, jouer à ce jeu présente un intérêt documentaire dans la mesure où l’on se rend vite compte qu’il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de coller aux conclusions du rapport Warren.

GÉRER LA VIE QUOTIDIENNE D’UNE FAMILLE DU TIERS MONDE

JFK Reloaded s’attache à recréer un événement ponctuel, en se rapprochant le plus possible de la réalité. Mais il est aussi possible, en restant dans le même registre, d’opter pour un niveau d’abstraction plus grand, et de décrire une période de temps plus large. Ayiti est une tentative de ce type.

Ce jeu en flash est une initiative de Globalkids, une ONG dont le but est d’expliquer à un public jeune des problématiques complexes. Il demande au joueur de planifier, pendant quatre ans, la vie d’une famille de cinq Haïtiens. Chaque personnage est doté de trois caractéristiques à niveau variable : santé, bonheur et éducation. Or, le budget de la famille est très serré : envoyer le jeune garçon à l’école augmentera son niveau de connaissances, mais sa scolarité coûtera cher, et pendant ce temps, il ne rapportera pas d’argent. Et si le père travaille dur, la famille s’en sortira… jusqu’à ce qu’il tombe malade. Sans cesse, le joueur est confronté à ce genre de dilemmes.

Capture d'écran du jeu Ayiti.
Capture d’écran du jeu Ayiti. D.R.

Là encore, c’est tout un système qui est modélisé, sous une forme simplifiée mais efficace et problématisée : la vie quotidienne d’une famille du tiers monde. Et sous un habillage graphique et sonore enfantin, Ayiti est un jeu extrêmement dur. Il n’est pas rare de voir sa famille s’enfoncer dans la misère et il s’avère très dur, voire presque impossible, de parvenir à la fin des quatre années. Mais sans doute est-ce, là encore, l’objectif rhétorique visé par les développeurs : faire comprendre l’injustice de la vie de ces populations. D’autant que des événements aléatoires, comme des inondations ou des typhons, viennent encore compliquer la situation.

Aucun des jeux cités dans cet article n’est l’œuvre de journalistes ou de documentaristes. Néanmoins, ils ouvrent des pistes de réflexion, et font valoir des arguments narratifs et immersifs intéressants. Pour pouvoir mettre ce type de jeux vidéo au service de l’information, les reporters devront adapter leur méthode de travail, et décider de décrire les systèmes dans lesquels les histoires se déroulent, plutôt que de raconter les histoires elles-mêmes. Libre ensuite au joueur de se construire sa propre expérience.

Le jeu vidéo, une nouvelle forme d’infographie ?

Article initialement publié sur Lemonde.fr

Les journalistes ont de plus en plus souvent recours à l’infographie. En présentant une masse de données sous une forme graphique bien conçue, on facilite en effet la compréhension et l’analyse du public. Mais aujourd’hui, les infographies tendent à évoluer dans le même temps qu’Internet se développe.

« Désormais, les utilisateurs d’infographies sont aussi des producteurs. Les infographistes, eux, ne sont plus uniquement des présentateurs, ils deviennent des facilitateurs. Ils doivent toujours présenter l’information et indiquer au lecteur les faits principaux. Mais ils doivent aussi lui permettre de jouer avec cette information et de se créer des scénarios avec les données fournies », explique Alberto Cairo, journaliste espagnol spécialiste d’infographie interactive.

JOUER AVEC LES DONNÉES DU BUDGET

Jouer avec des données, c’est ce que propose le jeu de budget Balance 2009. Conçu en Flash par la Gotham Gazette, un site d’informations sur New York, il offre à l’utilisateur la possibilité de manipuler le budget de la ville, en partant des chiffres officiels prévus pour 2010. Evidemment, chaque dépense supplémentaire, quel que soit le secteur concerné (éducation, police, transports publics…), doit être compensée par une rentrée d’argent équivalente (placer un péage sur les ponts de l’East River, augmenter la taxe foncière…). Et toutes les augmentations d’impôts potentielles comportent des effets négatifs, décrits par de courts textes.

Il est alors amusant pour l’utilisateur de tenter d’établir un budget différent de celui proposé par la municipalité, et plus conforme à ses propres vues en matière de politique de la ville. Mais comme le jeu ne comporte pas d’objectif, le joueur n’en retire finalement pas grand-chose, si ce n’est un ordre de grandeur des différents postes du budget de la ville.

Capture d'écran du jeu Balance 2009.
Capture d’écran du jeu Balance 2009. D.R.

Autre jeu de budget, Budget Hero, lui, est en revanche conçu comme un vrai jeu vidéo. Ce titre, diffusé par American Public Media, le second plus gros producteur américain de radio publique, traite du budget fédéral des Etats-Unis. Mais à la différence de Balance 2009, il propose au joueur de choisir, en début de partie, trois « badges » qui définiront ses objectifs.

Va-t-il tenter de mettre en place un budget qui renforcera l’indépendance énergétique du pays ? L’écologie ? La santé ? C’est seulement après avoir fait ces choix que l’utilisateur peut modifier les différents postes du budget, en jouant des cartes qui augmentent ou diminuent les dépenses dans chaque domaine, mais aussi en manipulant les règles fiscales. Puis le budget établi est soumis au programme, qui l’analyse et produit une synthèse indiquant si le joueur a atteint les objectifs qu’il s’était fixés en début de partie.

Les chiffres utilisés par Budget Hero sont ceux du ministère du budget américain, et les données du jeu sont régulièrement mises à jour pour suivre les évolutions politiques et macroéconomiques des Etats-Unis. Au total, 154 options sont disponibles, chacune ayant un effet sur le budget. Dans un contexte d’information classique, il serait compliqué de pousser un lecteur lambda à s’intéresser à l’ensemble de ces données. Mais l’objectif que se fixe le joueur l’incite à les étudier plus en détail, et à les considérer non plus comme de simples chiffres, mais comme des leviers à la disposition de l’Etat pour porter une politique particulière.

Capture d'écran de Budget Hero.
Capture d’écran de Budget Hero. D.R

TRAITER DES CARTES ET DES DIAGRAMMES

Si les jeux vidéo sont efficaces pour traiter et analyser d’importantes bases de données chiffrées, ils le doivent à leur nature de programmes informatiques. Mais les infographies sont aussi capables de traiter d’autres types de données, spatiales ou organisationnelles, à travers des cartes et des diagrammes. Est-ce également le cas des jeux vidéo ? L’analyse de Clim’City fournit un élément de réponse.

L’objectif de ce jeu est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de toute une région, en planifiant sur cinquante ans une série d’actions. Installation d’un parc d’éoliennes, pose de panneaux solaires, isolation des habitations… Chaque décision coûte des « points d’action » au joueur et présente des avantages et des inconvénients. A tout moment, le joueur a accès à des compteurs lui indiquant si le « plan climat » qu’il met en place porte ses fruits. Comme Budget Hero, Clim’City est d’abord une énorme base de données, puisque le programme calcule perpétuellement les effets chiffrés des décisions du joueur. L’interface de ce jeu (une région entière vue du ciel) fournit aussi des informations géographiques.

Si le joueur commande l’implantation d’un parc éolien, les turbines ne seront pas installées n’importe où ; le jeu les disposera sur un emplacement bien exposé au vent. Et toutes les améliorations écologiques ne sont pas immédiatement mobilisables. Clim’City est doté de ce que l’on appelle un « arbre technologique », qui correspond aux contraintes de la réalité : pas question, par exemple, d’équiper les bâtiments publics de chaufferies à bois si on n’a pas au préalable mis en place une filière bois-énergie.

Capture d'écran de Clim' City.
Capture d’écran de Clim’ City. D.R.

Le joueur attentif peut donc récolter, au fil d’une partie de Clim’City, des informations très variées sur l’organisation d’un « plan climat » : des données chiffrées, une sensibilité géographique et un aperçu de la manière dont un tel plan s’organise. Chacune de ces familles d’informations aurait pu faire l’objet d’une infographie à part entière. Ici, elles s’interpénètrent, et sont toutes nécessaires pour gagner la partie. Cependant, le joueur n’est pas guidé dans une direction particulière. Cela se justifie parfaitement d’un point de vue ludique, puisque l’intérêt d’un jeu est de trouver seul, après plusieurs tentatives, la meilleure stratégie à appliquer.