Avez-vous déjà entendu parler de Football Manager ? Comme son nom l’indique, ce titre est un jeu de simulation qui vous met dans la peau d’un « manager » de club de foot, un super-entraîneur qui définit la tactique de son équipe, supervise ses entraînements, décide des transferts de joueurs etc. Quand j’ai commencé à jouer à Football Manager, il y a maintenant une bonne dizaine d’années, le jeu était repoussant au possible. Chaque joueur y était décrit sous forme d’une feuille de statistiques rappelant furieusement un tableau excel soviétique, les matches se déroulaient en mode texte uniquement (« Zidane prend la balle au milieu du terrain »… « Zidane passe »… Palpitant, non ?) et la seule satisfaction était de voir le jeune attaquant qu’on avait déniché en quatrième division moldave prendre de la valeur à mesure qu’il progressait sur le terrain.
Et pourtant, si j’ai fini par me séparer de mon CD de Football Manager, ce n’est pas par dégoût. Au contraire. En fait, ce jeu avait sur moi l’effet d’une drogue dure.
Régulièrement, je lançais une « petite partie » à 20 heures pour relever le nez de mon écran le lendemain matin, les oiseaux accueillant ma victoire en ligue des champions de leurs gazouillis. Je jouais avant de partir bosser, je jouais tous les week-ends, je jouais sur mon portable, dans le train, en voiture… Les joueurs réguliers parmi vous reconnaîtront les symptômes que je décris, mais ils ne connaissent peut-être pas le nom de la pathologie. J’étais « pris dans le flow ».
Alors avant d’aller plus loin, petit point théorique. Qu’est-ce donc que ce fameux « flow » aux pouvoirs ensorcelants ?
Le « cognitive flow » (ou « flux cognitif ») est un concept formalisé en 1970 par le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi. Selon lui, notre disposition émotionnelle est directement influencée par le rapport entre la difficulté d’une tâche et notre niveau de qualification. Pour résumer, si la tâche est trop compliquée pour nous, nous risquons de ressentir de l’anxiété, et si elle est trop simple, c’est l’ennui qui prédomine. Mais quand nous avons juste le bon niveau de qualification pour accomplir ce qui nous est demandé, nous entrons dans ce fameux état de « flow ».
Toujours selon Csíkszentmihályi, un utilisateur dans le flow est très concentré, il a une impression de contrôle, une sensation de maîtrise, et la conviction que la tâche elle-même, le « défi » qu’elle lui pose, est la seule justification nécessaire à son accomplissement (on parle alors d’activité autotélique). Dans les cas les plus extrêmes, on peut aller jusqu’à une perte de conscience de soi et une distorsion de la perception de l’écoulement du temps.
Le pouvoir de Football Manager est donc de faire naître un état de flow parfait. Comment ce programme réussit-il ce tour de force ? Là encore, tournons-nous vers Csíkszentmihályi. Il a identifié quatre caractéristiques que partagent les tâches propres à nous plonger dans le flow :
- on y trouve des buts concrets accompagnés de règles compréhensibles,
- les actions qui nous sont demandées pour atteindre ces buts sont en rapport avec nos capacités,
- un feedback clair et temporellement pertinent nous est fourni pour nous tenir au courant de l’accomplissement des objectifs,
- et les distractions extérieures sont diminuées pour aider notre concentration.
Cette description en quatre points colle effectivement à mon expérience de joueur de Football Manager. Mais maintenant que j’ai arrêté d’y jouer, j’ai pas mal de temps libre, que je passe sur Internet, par exemple pour consulter des webdocumentaires. Faites-moi confiance : la plupart des « webdocs » sont beaucoup, beaucoup plus beaux et abordables que Football Manager. Ils ont souvent des sujets passionnants, un graphisme chamarré, des images léchées, et sont quasi-systématiquement riches en bonnes idées de design. Et pourtant, la durée moyenne de consultation d’un webdocumentaire est aujourd’hui bien basse : très rarement plus d’une vingtaine minutes pour des objets qui abritent souvent des heures de vidéo. Moi-même, pourtant grand amateur de la forme, j’ai souvent été découragé dans ma consultation plus vite que je ne l’aurais souhaité, noyé par un « tsunami d’information » (je tente d’expliquer ce concept par l’exemple dans cette présentation). De nombreux webdocs provoquent chez moi un état d’anxiété (« Il y a trop de choses à voir, je n’ai pas le temps, j’ai peur de rater des éléments importants… ») et n’arrivent donc pas à me plonger dans le flow qui serait pourtant nécessaire à mon immersion dans le propos documentaire.
Bien sûr, les webdocs ne sont pas des jeux vidéo, et il ne s’agit pas de les faire passer pour tels. Mais les travaux de Csíkszentmihályi ne concernent pas particulièrement les jeux : selon lui, toute tâche peut prendre un sujet dans le « flow ». On peut considérer que dans un webdocumentaire, la « tâche » est la consultation, et l’« objectif » est de regarder tous les éléments documentaires mis à disposition de façon non-linéaire.
Par conséquent, posons-nous la question : que peut-on tirer de la théorie du flow pour tenter d’améliorer l’expérience des utilisateurs/spectateurs de webdocumentaires ?
1) Fixer des buts concrets accompagnés de règles compréhensibles
Nous n’avons pas tous la même habitude des objets interactifs, ni la même capacité à « faire plusieurs choses en même temps ». Mais si un trop grand nombre d’informations lui arrivent à la fois, même le « hardcore gamer » de Dr Kawashima est débordé. Pire : si ces informations ne portent pas toutes sur le même sujet, elles entrent en conflit, détournent notre attention, et nos capacités cognitives s’écroulent alors. L’effet est immédiat : frustration, et sortie du flow – adapté au sujet qui nous occupe, ça donne « fermer l’onglet du webdoc pour aller voir des vidéos de lolcats sur Youtube » (nombre de neurones sollicités par cette tâche : 2).
On l’a dit, dans un webdocumentaire, le « but » principal est de consulter les ressources documentaires. Quant aux règles (« comment faire ? »), elles sont communiquées à l’utilisateur par l’interface.
Il est donc nécessaire que le design de celle-ci soit clair. Chacun doit pouvoir comprendre le plus rapidement possible, en se connectant, ce qu’on attend de lui, voire identifier le nombre de sujets à consulter et leur longueur.
Prenons un exemple : Iron Curtain Diaries, un webdoc qui nous propose de nous promener le long du rideau de fer, 20 ans après sa chute. Dès le début de l’expérience, il nous est clairement indiqué, grâce à des pastilles disposées sur la frontière est/ouest, que nous allons visiter 17 endroits. Mais quand on commence à cliquer sur lesdites pastilles, les choses se compliquent.

En effet, selon le lieu exploré, le nombre de sous-contenus à visionner varie grandement. Ce n’est en soi pas un problème, mais rien sur la carte initiale ne nous informe de cette différence (on aurait par exemple pu imaginer des points plus ou moins gros), ce qui complexifie l’expérience utilisateur en troublant son estimation de l’ampleur de la tâche à accomplir.
Gardons en tête que tout utilisateur curieux aura tendance à profiter de la liberté qu’on lui offre. Mais cette liberté est à double tranchant : si le nombre de possibilité est trop élevé, on peut vite se sentir perdu. Concevoir un webdocumentaire délinéarisé ne veut donc pas dire abandonner l’utilisateur dans sa consultation, car s’il est trop souvent amené à se demander ce qu’il « doit » faire, et si l’interface ne lui fournit pas de réponse, la sortie du flow est inévitable.
Par conséquent, organiser les contenus par groupes (dans Iron Curtain Diaries, les villes) est une bonne idée. Cela permet de proposer à l’utilisateur une série d’expériences gratifiantes (« Ça y est, j’ai visionné tout le contenu sur Berlin, maintenant je passe à Gdansk »), et donc d’encourager sa progression dans le webdocumentaire. Mais pour le maintenir dans le flow, il est nécessaire de lui exposer cette organisation clairement, et surtout de souligner sa progression, en lui proposant par exemple une « récompense » à chaque étape accomplie. Dans Iron Curtain Diaries, on aurait ainsi pu imaginer que la complétion d’un « niveau » (avoir vu tous les sous-contenus d’un lieu) donne accès à un item spécifique (une sélection de liens pour aller plus loin, un mot des auteurs…). Il aurait peut-être même été pertinent d’exposer les 17 villes, mais en n’en rendant que quelques-unes accessibles au départ, les suivantes se « déverrouillant » au fil de la consultation (lui donnant ainsi une teinte autotélique, « je regarde des contenus pour pouvoir en regarder d’autres »).
Revenons au cas du jeu vidéo. D’une manière générale, les développeurs évitent de donner au joueur une information importante à un moment où il est activement sollicité par autre chose – par exemple on attirera rarement votre attention sur une nouvelle tâche à accomplir alors que vous êtes en pleine bagarre avec un ennemi puissant, on préfèrera attendre que vous ayez fini votre combat. Quand deux informations se télescopent, elles créent une diversion qui peut avoir un effet catastrophique sur notre attention.
On rencontre pourtant le même genre de conflit dans les webdocumentaires. Amour 2.0 est en la matière un exemple parmi d’autres.

Alors qu’on regarde un sujet documentaire, avec des interviews qui mobilisent notre concentration, des pastilles apparaissent sur la timeline à certains moments pour nous fournir d’autres informations. Certes, ces informations sont liées, mais l’effort nécessaire pour les consulter et se replonger ensuite dans le propos principal n’est pas à la portée de tout le monde. Et même si on choisit de les ignorer, la diversion provoquée par leur apparition constitue un risque de nous sortir du flow dans lequel nous plonge le déroulé de chaque sujet. Les informations des pastilles sont nécessaires, mais il serait probablement plus pertinent de les fournir à la fin de la consultation du sujet. Mieux : si on se reporte au point évoqué précédemment, ces informations complémentaires pourraient jouer le rôle de « récompenses » qu’on obtiendrait avant de retourner au menu général pour choisir un autre sujet à regarder, et qui valideraient par conséquent notre progression.
2) Faire coïncider exigences interactives et capacités de l’utilisateur
Nous l’avons vu, les deux conditions de sortie du flow sont l’anxiété en cas de tâche trop compliquée à accomplir, et l’ennui dans le cas inverse. Pour ce qui est des webdocumentaires, on rencontre le plus souvent le premier cas de figure. Cela est probablement dû à la relative nouveauté de cette forme, et à l’absence d’habitudes du public. Passer d’une forme linéaire, qui est celle du documentaire classique, à une forme non-linéaire, demande un gros effort cognitif auquel nous ne sommes pas encore rompus. Or, si l’utilisateur n’arrive pas à accomplir une tâche, même si elle est claire, alors l’expérience devient frustrante : le stress généré affecte le flow, et par conséquent l’envie de persévérer dans la consultation du webdoc.
Bien entendu, tout le monde n’a pas le même niveau de « qualification », les mêmes réflexes devant un objet interactif. Dans les jeux vidéo, ce problème est traité de plusieurs façons. Il n’est pas rare de pouvoir choisir, en début de partie, la difficulté à laquelle on souhaite être confronté. Et de plus en plus, grâce à la programmation, l’intelligence artificielle qui nous met au défi dans un jeu s’adapte dynamiquement à nos performances de joueur.
Difficile pour le moment d’imaginer aller aussi loin dans une structure de webdocumentaire. Néanmoins, il est possible de proposer à l’utilisateur plusieurs modes de consultation. Prison Valley, par exemple, existe dans une forme linéaire tout à fait habituelle et accessible au grand public (le niveau « facile »), mais aussi sous la forme d’un objet web qui propose la même histoire, mais enrichie de « décrochages » vers des sujets annexes, que l’utilisateur est libre de visionner ou non (le niveau « moyen »). Et le programme a même proposé pendant quelques mois une animation éditoriale, dans la quelle il était possible de se connecter à certaines heures pour poser en direct des questions aux auteurs et à certains protagonistes du documentaire (le niveau « difficile », nécessitant un engagement très important de l’utilisateur).
Il existe aussi d’autres moyens de prendre en compte les capacités de l’utilisateur, voire de l’amener à « progresser » au fil de sa consultation. On peut par exemple hiérarchiser les contenus qu’on propose en fonction de leur accessibilité : l’utilisateur peut d’abord regarder des modules vidéo courts (expérience simple pour qui a déjà été sur Youtube), puis d’autres plus long, puis consulter des diaporamas dynamiques, manipuler des infographies interactives, jouer à un « newsgame » portant sur le sujet du documentaire (expérience potentiellement complexe pour qui n’a jamais joué à un jeu vidéo)… Et à chaque nouvelle étape, à chaque nouvelle expérience proposée, un petit « didacticiel » peut expliquer à l’utilisateur ce que le module attend de lui. Ainsi, l’utilisateur a le sentiment de progresser dans sa maîtrise de l’objet interactif au fur et à mesure qu’il progresse dans le propos documentaire. On trouve un bon exemple de cette progression par étapes dans des webdocs comme l’excellent Lazarus Mirages, où chaque nouvelle pastille comporte un nouveau « défi » interactif.

On peut aussi tenter d’utiliser des codes déjà maîtrisés par tous les utilisateurs comme outils de médiation pour les amener vers une forme plus compliquée et inhabituelle. C’est la direction choisie par Gol ! Ukraine#2012 qui reprend, avec ses présentateurs, un dispositif très classique à la télévision mais peu utilisé sur le web. Les deux personnages, Oleg et Katya, sont là pour accueillir, guider et rassurer l’internaute dans sa consultation en s’adressant directement à lui. Ils introduisent aussi chaque sujet documentaire par des lancements, qui rappellent ceux du journal de 20 heures et sont d’importants éléments de contextualisation, nécessaires à la préservation du flow.

Un webdocumentaire est avant tout un objet interactif, ce qui veut dire qu’une partie importante de la construction de sens se fera directement dans le cerveau de l’utilisateur. Si je clique ici après avoir cliqué là, si je vois les sujets dans tel ordre plutôt que dans tel autre, à moi de tisser le fil rouge qui reliera les éléments et fera émerger, chez moi, le propos général de l’auteur. A moi de « comprendre » ce que me dit l’objet interactif.
Or, il est extrêmement délicat pour un designer d’anticiper la perception qu’aura un internaute lambda de son expérience interactive. Et il est pourtant capital de prendre cette perception en compte, car elle est la première composante du propos porté par le webdoc. Sans parler du risque de rejet pur et simple auquel on s’expose en proposant une expérience trop désorientante. C’est pour cette raison que, de même qu’un jeu vidéo, les mécaniques interactives d’un webdoc devraient idéalement être conçues par itérations et testée (ou « playtestées, pour reprendre le vocabulaire du JV) auprès d’un échantillon représentant votre public cible.
Dans les jeux vidéo, les playtests arrivent très tôt dans le développement : il n’est pas rare de tester des mécaniques de jeu à l’aide de prototypes en papier, avant même que la moindre ligne de code ait été écrite. La même méthode peut être appliquée à un webdocumentaire, et il existe de nombreux outils permettant ensuite de réaliser à moindre coût, tout au long de la production, des maquettes interactives à soumettre à des utilisateurs capables de porter un regard vierge sur votre objet. C’est probablement le moyen le plus efficace de déceler ce qui fonctionne, le niveau d’investissement que vous pouvez demander à votre public, et d’éviter ainsi de lui proposer un objet à l’interactivité trop complexe qui le sortira du flow.
3) Mettre en place un système de feedback clair et temporellement pertinent
En proposant un mode de consultation non-linéaire, les webdocumentaires prennent un risque. Ce que la consultation gagne en liberté (« Je clique où je veux »), elle le perd en clarté (« Où dois-je cliquer ? »). C’est pourquoi il est essentiel, si on ne veut pas perdre l’utilisateur (aux deux sens du terme), de l’aider à s’y retrouver dans sa consultation, à savoir à tout moment ce qu’il a déjà vu et ce qui lui reste à voir, et à comprendre les effets de ses actions.
Encore une fois, les jeux vidéo sont un bon exemple : ils sont généralement riches en retours de toutes sortes qui font comprendre au joueur que son action a bien été prise en compte. Si on attaque un ennemi, une animation nous informe que notre coup a porté, si on court, le bruit des pas de notre personnage s’accélère, et quand on arrive à effacer quatre lignes d’un coup à Tetris notre compteur de score s’affole, nous indiquant sans l’ombre d’un doute que nous avons accompli un objectif important.
Cet art du feedback, antidote au sentiment d’égarement dans la consultation d’un objet interactif complexe, peut aussi, bien sûr, être appliqué aux webdocumentaires. Quelques systèmes très simples ont déjà fait la preuve de leur efficacité, comme l’effet de grisé et la petite mention « vu » qui apparaissent dans Vies de Jeunes pour signaler les vidéos déjà consultées.

Évidemment, par l’intermédiaire du code, rien n’empêche de fournir à l’utilisateur des retours un peu plus fins sur sa consultation. Dans Gol ! Ukraine#2012, par exemple, si un internaute revient au menu général sans avoir regardé un sujet documentaire jusqu’au bout, le présentateur s’adressera à lui pour regretter (avec humour) que le sujet ne lui ait pas plu et l’encourager à en regarder d’autres. En allant plus loin, on pourrait concevoir un système analysant les choix de l’utilisateur et lui fournissant un feedback conditionnel, l’encourageant à consulter telle vidéo puisqu’il a déjà vu telle autre et que les deux sujets sont liés.
Ces retours sur les actions de l’utilisateur servent donc à le rassurer mais aussi à l’interpeller, à lui donner le sentiment que son expérience de consultation du webdoc est sinon unique, au moins personnelle. Ils permettent ainsi de le maintenir plus efficacement dans un état d’implication élevé, et donc de flow.
D’autre part, les webdocumentaires sont souvent des objets riches de plusieurs heures de contenus. S’il est pertinent de fournir un feedback « micro » (sur ce que l’internaute vient de faire), il peut aussi être utile de l’aider à avoir une vision « macro » (sur son niveau d’avancement dans l’«univers » du webdocumentaire). On peut par exemple penser à une jauge de progression générale, à un pourcentage de « complétion », voire, pourquoi pas, à une ressource graphique qui se révèlerait à la manière d’un puzzle, au fur et à mesure de l’avancée de l’utilisateur
Pour être vraiment efficaces, ces feedbacks doivent remplir trois conditions :
- Ils doivent apparaître tôt dans la consultation, pour que l’utilisateur se familiarise et comprenne rapidement leur intérêt.
- Ils doivent apparaître au bon moment : soit directement après l’accomplissement d’une « tâche » (à la fin d’une vidéo par exemple), soit à mi-chemin dans l’accomplissement de cette tâche.
- Ils doivent être persistants d’une visite à l’autre. Quand un webdocumentaire nous plaît, il arrive qu’on y revienne, mais il est plus rare qu’on se souvienne exactement de quelle partie on a déjà vu. Un système de sauvegarde de la progression (cookie, Facebook connect, inscription…) est dès lors précieux.
4) Réduire les distractions extérieures
De même qu’il n’est pas simple de traiter plusieurs informations en même temps au sein d’un webdocumentaire, il est délicat de consulter un objet aussi complexe dans un environnement visuel « pollué » par des stimulis extérieurs. La question de l’intégration du webdoc dans le site web qui l’héberge est donc essentielle. La plupart de ces objets bénéficient d’un mode « plein écran », qui a pour avantage d’aider l’utilisateur à se concentrer sur le propos documentaire. Mais ce mode n’est pas activé par tous les utilisateurs. Il est donc nécessaire d’éviter autant que possible les bandeaux de pub, liens sortants, ou dispositifs d’info en live qui sont souvent présents sur les pages des diffuseurs. De même, la qualité du flux vidéo est une donnée essentielle. Un streaming sans cesse interrompu par un témoin de chargement, ou une compression qui détériore trop l’image sont autant de dangers pour le flow de l’expérience. Heureusement, les accès Internet à haut débit ont tendance à limiter ces risques.
Pour les mêmes raisons d’immersion et de lutte contre les distractions, il est souhaitable, pendant la consultation d’une vidéo documentaire, que l’interface se fasse la plus discrète possible. Quand le pointeur de la souris de l’utilisateur est inactif, les boutons de pause, de retour au menu, et barres de progression peuvent disparaître, laissant libre place au film. C’est particulièrement souhaitable pour les éléments animés de l’interface, l’œil humain étant naturellement attiré par le mouvement. D’ailleurs, à l’inverse, si vous souhaitez indiquer à l’utilisateur une fonctionnalité particulière de votre interface, animer le pictogramme de celle-ci peut être une bonne solution.
Il faut aussi savoir dans quel contexte votre webdocumentaire va être consulté. Bien souvent, l’utilisateur va s’y connecter pour la première fois sur son ordinateur de travail, pendant une pause par exemple. Pas question alors, pour lui, d’y passer du temps. Il est par conséquent nécessaire de lui permettre de retrouver votre contenu plus tard, facilement, quand il aura moins de risques d’être « distrait » (si tant est qu’on puisse être distrait par son travail !) et donc de sortir de son état de flow.
Evidemment, le mode de consultation idéal d’un webdocumentaire semble être sur un dispositif mobile comme une tablette, son propriétaire confortablement installé sur le canapé du salon. Mais il est encore un peu tôt pour miser exclusivement sur ce modèle de diffusion : actuellement, le taux d’équipement des Français dépasse à peine 6%. Il faut donc trouver des moyens alternatifs d’amener l’utilisateur à revenir se connecter de son ordinateur personnel (en attendant que la télévision connectée permette de consulter des webdocs en famille). On peut par exemple lui proposer de laisser son adresse e-mail pour lui envoyer le lien d’accès (prévoir dans ce cas un envoi en dehors des heures de bureau). Là encore, l’expérience de Lazarus Mirages, qui a diffusé son contenu en épisodes avec une relance aux personnes inscrites pour chaque nouvelle mise en ligne, s’est montrée plutôt efficace. Les réseaux sociaux peuvent aussi être de puissants vecteurs de reconnexion.
Conclusion :
Le webdocumentaire est une forme encore jeune : de nombreuses choses restent à inventer, les usages ne sont pas encore clairement définis, et chaque nouveau projet qui voit le jour apporte son lot d’innovations. Si les webdocs ne sont pas des jeux vidéos et n’ont pas vocation à le devenir, s’ils ne fonctionnent pas sur les mêmes mécaniques, si les utilisateurs n’ont pas les mêmes motivations initiales, ces deux médias partagent néanmoins de nombreuses similitudes, à commencer par leur nature profondément interactive. Et c’est sans aucun doute l’art de la maîtrise du flow qui permet aux bons jeux vidéo de captiver des heures durant les joueurs, vissés sur leur chaise devant leur ordinateur ou leur console de jeu. En s’inspirant des leçons de son vénérable aïeul (le premier jeu vidéo date du début des années 60 !), le webdoc peut lui aussi devenir un média puissant, impliquant, portant au mieux le regard sur le monde des documentaristes du XXI siècle.
Florent Maurin
Ce billet est inspiré de l’excellent Cognitive Flow: The Psychology of Great Game Design, par Sean Baron, sur Gamasutra.




























